Contre toute attente, le Conseil d’Etat dans un arrêt du 15 juin 2018[1] vient de reconnaître la possibilité pour un Département de demander aux bénéficiaires de réaliser, sous certaines conditions, des heures de bénévolat pour bénéficier du revenu de solidarité active (RSA). Si une telle décision confirme pour le moment la légalité d’une délibération du Conseil Départemental du Haut-Rhin de février 2016 qui à l’époque avait fait polémique, il convient de s’interroger sur le message que cette décision de justice renvoie aux associations ainsi que sur les risques auxquels s’exposent celles d’entre elles qui accepteraient de prêter leur concours à ce dispositif (encore) controversé.
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RSA contre bénévolat : un dispositif légal ?
Le 5 février 2016, le Conseil Départemental du Haut-Rhin confirmait la mise en place d’un « dispositif de service individuel bénévole » à la charge des bénéficiaires du RSA. Ce dispositif imposait à certains d’entre eux d’effectuer sept heures de bénévolat par semaine auprès par exemple d’une association ou d’une collectivité, sous peine de se voir priver du versement de leur allocation.
Concrètement, les 20.000 allocataires du RSA dans le Département du Haut-Rhin devront présenter tous les trois mois une attestation prouvant qu’ils ont bien effectué les sept heures de bénévolat par semaine. A défaut, le versement des allocations sera suspendu. Une plate-forme numérique « RSA§BENEVOLAT » a été créée pour mettre en relation les profils des allocataires avec les besoins des associations, maisons de retraite, collectivités locales ou autres établissements publics…
S’interrogeant sur la légalité du dispositif, le préfet du Haut-Rhin a saisi le tribunal administratif de Strasbourg qui, le 5 octobre 2016, se prononçait en faveur de la nullité de la délibération du Conseil Départemental. En effet, le fait de « suspendre le versement (du RSA) en raison du non-accomplissement d’heures de bénévolat » était jugé « illégal », mais parallèlement la juridiction administrative ouvrait la voie à une mesure alternative : « …sauf à constater [que la suspension] figure parmi les engagements souscrits dans le cadre d’un contrat. »
Moins de deux mois plus tard, le 02 février 2016, le Département du Haut-Rhin s’engouffrait dans la brèche ouverte par la juridiction de premier ressort en faisant voter la mise en place d’un « contrat d’engagement réciproque » (CER) intégrant les conditions posées par le tribunal. Fortement encouragés à souscrire ce contrat les liant au Département, les demandeurs de l’allocation s’engageront par ce biais à accomplir 7 heures (au moins) de bénévolat par semaine qu’ils devront dénicher à partir de la plateforme en ligne conçue par le Département pour la cause. En cas d’écarts, « l’évaluation de la situation de l’allocataire et les manquements aux engagements pris dans le CER pourront conduire à des sanctions, allant de la suspension du versement de l’allocation jusqu’à la radiation », précise le Département à l’origine de ce dispositif.
Le 18 avril 2017, sur appel du Département, la Cour administrative d’appel de Nancy confirmait le jugement rendu en première instance.
Insatisfait de cette décision, le Département du Haut-Rhin saisissait le Conseil d’État.
Par décision du 15 juin 2018, le Conseil d’État a décidé d’invalider l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy pour erreur de droit. En effet, les dispositions de l’article L.262-35 du Code de l’action sociale et des familles n’interdisent pas dans certains cas à un Département de prévoir, dans le contrat conclu avec une personne bénéficiaire du RSA, des actions de bénévolat. Trois conditions sont toutefois posées par la juridiction suprême de l’ordre administratif :
– le contrat doit être élaboré de façon personnalisée,
– les actions de bénévolat doivent contribuer à une meilleure insertion du bénéficiaire et,
– doivent rester compatibles avec sa recherche d’emploi.
Dans un communiqué, le Département du Haut-Rhin s’est dit satisfait de cette décision, qui « conforte le dispositif RSA/bénévolat » qu’il a déployé en septembre 2017 à travers des contrats d’engagement réciproque.
Reste maintenant à la cour d’appel de Nancy de statuer sur la légalité de la délibération déférée, en tenant compte des limites posées par le Conseil d’État.
Face à la polémique, le Gouvernement a immédiatement réagi. Le 15 juin 2018, la députée Claire Pitollat s’est vue confier une mission temporaire sur le sujet par le Premier ministre. L’insertion des bénéficiaires du RSA doit faire prochainement l’objet d’un rapport.
2. Quel message adressé® aux associations ?
Plusieurs associations, telles que la Fédération nationale des associations d’accueil et de l’insertion sociale (FNARS) ou encore ATD Quart Monde, ont manifesté leur hostilité au dispositif : « Certains allocataires ont des difficultés de santé, de mobilité, de logement ou de garde d’enfant qui freinent le retour à l’activité », souligne la FNARS, qui fédère 900 associations d’insertion et les a appelées à « refuser toute embauche de +bénévoles+ sous la contrainte ».
Pour Eric Strautmann, Président du Département du Haut-Rhin à l’origine du dispositif litigieux, cette nouvelle mesure est « une absolue nécessité » et constitue une réponse appropriée au transfert de la charge RSA par l’Etat[2] sur les Départements dans le cadre de la loi NOTRe du 08 août 2015[3] : « Nous sommes le Département le moins compensé de France », affirme-t-il. « Nous dépensons déjà 10 millions d’euros dans l’insertion, et ce montant devrait augmenter de 8 millions d’euros cette année ». La raison ? Depuis la crise de 2008, la situation économique s’est fortement dégradée. « Notre Département comptait beaucoup d’industries de sous-traitance automobile qui ont été contraintes de fermer », explique le président du Conseil Départemental. Résultat, le Haut-Rhin a vu le nombre d’allocataires du RSA augmenter de 61% depuis 2010, à 20.201 foyers bénéficiaires. Face à une telle demande, l’élu local se réfugie derrière l’article 72 de la Constitution qui consacre le principe de « libre administration des collectivités locales. » En d’autres termes, qui paie décide selon lui. «Le RSA est une compétence qui a été transférée aux collectivités, et non déléguée », indique-t-il. « L’État doit donc nous donner les moyens d’y parvenir» ou, selon, lui reprendre à son compte la gestion du RSA. D’après les dernières données publiées par la CAF, le nombre de foyers allocataires du Revenu de solidarité active fin 2017 s’établit à 1,83 millions après avoir connu un pic 2,53 millions en 2015. Ce qui constituait ne hausse de 71% de plus que lors de sa création, en juin 2009.
Par ailleurs, à travers ce dispositif, Eric Strautmann demeure persuadé que ce dispositif permettra de « mettre le pied à l’étrier » des bénéficiaires du RSA, « pour qu’ils se resocialisent et sortent de l’isolement ». Parmi ses soutiens figurent Laurent Wauquiez (LR) qui en 2011, alors ministre, avait déjà préconisé de demander cinq heures hebdomadaires de service social, non rémunéré, aux bénéficiaires du RSA.
Depuis lors, le lancement du dispositif RSA contre bénévolat a fait tache d’huile, même si pour bon nombre d’entre eux le bénévolat demeure facultatif. Depuis septembre 2015, le Conseil Départemental de la Drôme invite les bénéficiaires du RSA à s’investir dans une association de leur choix. Sur les 12.970 allocataires du RSA, seuls une trentaine avaient fait ce choix, en mai dernier. Le Conseil Départemental de la Drôme ne note pas d’évolution significative pour le moment, malgré la large publicité déployée par la collectivité. Plus récemment, c’est la ville de Cayeux-sur-Mer, dans la Somme, qui a initié ce dispositif au début de l’année. « C’est du volontariat pur, sans échange ni contrepartie. J’ai eu cette initiative au mois de décembre alors que les bénéficiaires du RSA me disaient qu’ils ne savaient plus quoi faire. Mon rôle d’élu était d’apporter une solution», expliquait le maire, Jean-Paul Lecomte. Dans la commune, vingt-six allocataires sur 115 ont accepté la proposition du maire de Cayeux-sur-Mer.
Il n’empêche, le message adressé par ce dispositif aux associations (en recherche permanente de bénévoles) pose problème dans la mesure où l’initiative prise par le Département du Haut-Rhin entre en contradiction avec d’autres principes juridiques :
– d’une part, avec l’interdiction du travail forcé[4] imposée dans les conventions de l’Organisation international du Travail (OIT) et signées par la France : « Tout Membre de l’Organisation internationale du Travail qui ratifie la présente convention s’engage à supprimer l’emploi du travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes dans le plus bref délai possible. » ;
– d’autre part, avec la notion même de bénévolat, laquelle se caractérise par deux critères : l’absence de rémunération[5] et de lien de subordination[6]. Récemment encore, une proposition de loi du 21 mars 2018 visant à valoriser le statut du bénévole dans les associations a d’ailleurs réaffirmé le principe d’engagement librement consenti : « Etre bénévole, c’est donner de son temps pour les autres, participer à la vie d’un territoire, aider nos anciens, s’investir pour la nouvelle génération ou dans l’humanitaire et parfois même suppléer les missions de l’État ! Aujourd’hui, toute personne qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps professionnel et familial, mérite un véritable statut. »
Face à un tel constat, les associations qui accepteraient de s’inscrire dans un tel dispositif doivent néanmoins savoir qu’elles s’exposent au risque de requalification de l’activité bénévole en activité salariée. Outre le paiement du salaire normalement dû (notamment si des heures supplémentaires ont été demandées), cette requalification entraîne pour l’employeur l’obligation d’appliquer l’ensemble de la réglementation du travail et de la protection sociale. Par ailleurs, le défaut de déclaration préalable d’embauche découlant de l’emploi de « faux bénévoles » ainsi que celui du non établissement des déclarations sociales et du bulletin de paie sont constitutifs de l’infraction de travail dissimulé[7].
Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Colas AMBLARD, Docteur en droit, avocat associé
Les Notes :
[1]CE, 1ère et 4ème ch. réunies, 15 juin 2018, n°411630
[2]L’Etat conserve plus de 50% de cette charge
[3]L. 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République
[4]Convention sur le travail forcé (n°29) adoptée le 28 juin 1930 entrée en vigueur le 1 mai 1932 (préambule) : « Par travail forcé, il faut entendre tout travail imposé par l’Etat ou un particulier sous la menace (privation de nourriture, confiscation des terres, non versement des salaires, violences physiques, sévices sexuels, emprisonnement, etc.) ».
[5]CSS, art. L. 242-1 : on entend par rémunération en espèces, « toutes les sommes versées en contrepartie où à l’occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les honoraires, les indemnités, les primes, les gratifications et, d’une manière générale, tous les avantages en argent. »
[6]Pour un exemple de requalification, v. Cass. 2ème civ. 20 sept. 2005, n°03-30.592 n°1347 : RJS 12/05 n°1249
[7]C. trav. art. L 8221-5