De plus en plus pratiqué, le mécénat[1] de compétences représente pour les institutions sans but lucratif (ISBL) – fondation et fonds de dotation – en général, les associations en particulier, ainsi que les collectivités territoriales[2], un gisement de ressources quasiment illimité. La raison tient au fait que la formule présente de nombreux avantages (cf. infra) pour l’ensemble des parties prenantes, organisme bénéficiaire comme entreprise mécène. Dès lors, on comprend mieux pourquoi ce type particulier de mécénat pourrait rapidement devenir le terrain d’expression privilégié des acteurs « socialement intéressés »[3] et un socle idéal pour l’élaboration d’alliances stratégiques[4] particulièrement fécondes dans les territoires concernés.
1. Définition
Fort utilement, l’administration fiscale a rappelé que « les dons, autres que ceux effectués en numéraire, par lesquels l’entreprise mécène apporte à l’organisme qu’elle entend soutenir des biens, des moyens en personnel, des services, des compétences, sont des dons en nature. »[5] Cette forme de mécénat consiste pour une entreprise autorisée[6] à faire don de ses compétences au profit d’un organisme d’intérêt général[7] ou d’une collectivité publique[8].
Concrètement, ce soutien matériel peut prendre deux formes :
– La réalisation d’une prestation de services : l’entreprise offre la réalisation d’une tâche déterminée ;
– Le prêt de main-œuvre : l’entreprise met à disposition de l’organisme bénéficiaire des salariés qui sont volontaires pour cette mission et interviennent sur leur temps de travail.
Dans l’une comme dans l’autre, l’entreprise reste l’employeur du personnel mis à disposition et conserve les obligations juridiques et sociales afférentes[9].
Cette définition souligne bien que ce procédé d’« alliances » entre entreprise mécène et organisme bénéficiaire débouche sur plusieurs formes de soutien possibles et, par conséquent, différents modes opératoires doivent être envisagés.
2. Modes opératoires
- Sécuriser l’opération en amont
Avant de s’engager dans une telle démarche, il importe au préalable de sécuriser l’opération :
– Sur le plan fiscal : pour permettre à l’entreprise de bénéficier des avantages fiscaux attachés à la formule du mécénat (v. infra), l’organisme bénéficiaire doit s’assurer qu’il remplit les critères de reconnaissance d’intérêt général[10]. Pour cela, et même si ce type de démarche demeure facultative, il convient d’engager une procédure de rescrit fiscal[11] afin de permettre aux parties à l’opération de mécénat de se prévaloir d’une prise de position formelle de l’administration[12] ;
– Sur le plan juridique : lorsque le don prend la forme d’un prêt de main d’œuvre, il convient également de respecter les dispositions prévues à cet effet par le Code du travail[13]. Toute mise à disposition de personnel doit nécessairement s’effectuer dans un cadre « non lucratif », sous peine d’être lourdement sanctionnée pour délit de prêt de main d’œuvre voire même de marchandage[14]. Par ailleurs, si elles existent, les instances représentatives du personnel de l’entreprise mécène et de l’organisme bénéficiaire doivent être consultées préalablement à la mise en œuvre du prêt de main-d’œuvre mais également informées des différentes conventions signées.
Par conséquent, un certain formalisme devra être respecté entre l’entreprise prêteuse et l’organisme bénéficiaire.
- Contractualiser les relations entre les parties
L’article L 8241-2 du Code du travail stipule en effet que le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif requiert :
– L’accord du salarié concerné pour une mise à disposition d’une durée maximum de deux ans ;
– Une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l’identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels ;
– Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l’entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d’exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail.
Le recours à la technique du mécénat de compétences requiert par conséquent de contractualiser de façon précise les relations entre les parties, en intégrant prioritairement : leur identité respective ; le motif et les objectifs du partenariat ; la nature détaillée du projet ; l’apport de l’entreprise ; l’identité du ou des salarié(s) mis à disposition, ses tâches, le lieu de la mission ; les dates et début et de fin de mission ; le temps de mis à disposition ; le rôle et la forme de participation éventuelle de l’organisme bénéficiaire ; la répartition des dépenses entre les parties, dont celles liées aux assurances (de responsabilité civile, de biens, contre les risques d’annulation de la manifestation) ; s’il s’agit d’un prêt de main-d’œuvre ou d’une prestation de services globale ; les modalités de valorisation retenues (cf. infra) ainsi que le volume de l’abandon de créance (en particulier dans le cas de la réalisation d’une prestation de service) ; la partie considérée comme responsable du salarié mis à disposition au sens de l’article 1242 du Code civil (en particulier dans le cas d’un prêt de main-d’œuvre) ; l’utilisation des logos[15] de chacune des parties et l’existence, éventuelle, de contreparties valorisées (cf. infra) au bénéfice de l’entreprise mécène pour bénéficier de la réduction fiscale (cf. infra) ; ainsi que la durée de la convention ; les conditions de renouvellement et de résiliation du contrat.
3. Avantages
Les avantages attachés à la pratique du mécénat de compétences sont multiples et variés, aussi bien pour l’organisme bénéficiaire que pour l’entreprise mécène.
- Pour l’organisme bénéficiaire : il bénéficie d’une prestation d’entreprise ou d’un prêt de main-d’œuvre gratuit ou à moindre coût (cf. infra). Au contact des salariés mis à disposition, ses membres bénévoles seront non seulement déchargés d’un certain nombre de tâches, mais pourront également améliorer leurs pratiques associative.
- Pour l’entreprise mécène : concourir à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général procède d’une stratégie de gestion globale visant prioritairement à renforcer son attractivité et à faciliter son intégration dans les territoires ciblés :
– Sur le plan externe : cela lui permet non seulement de valoriser son image institutionnelle, mais également d’améliorer sa notation en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE[16]) et ainsi de maximiser ses chances de succès en cas de soumission aux marchés publics[17] ;
– Sur le plan interne : le mécénat contribue au maintien voire même au renforcement de sa cohésion sociale, ce qui peut s’avérer être extrêmement utile notamment en période de restructuration. En outre, il constitue un outil précieux pour entretenir la motivation de ses salariés et leur permettre de développer envers leur employeur un sentiment d’attachement. Enfin, ce type d’investissements responsables[18] offre des opportunités particulièrement intéressantes sur le plan fiscal et managérial : sur le plan fiscal, tout ou partie des dons en nature effectués par l’entreprise[19] ouvrent droit à une réduction d’impôt sur les sociétés équivalente à 60% de leur valeur – 40% sur la fraction du don supérieure à 2 millions d’euros[20] – dans la limite de 20.000 euros par an ou 0,5% de son chiffre d’affaires annuel hors taxe[21](lorsque ce dernier montant est plus élevé)[22]. Si l’on rajoute les contreparties « tolérées » (cf. infra) susceptibles d’être accordées par l’organisme bénéficiaire (dans une limite maximum de 25% de la valeur du don[23]), le coût effectif de la donation en nature réalisée par l’entreprise mécène ne dépasse pas, en réalité, 15% de sa valeur initiale ; sur le plan managérial, l’avantage réside dans les nouvelles opportunités offertes à ses salariés (notamment en fin de carrière), lorsque ces derniers accepteront de participer aux activités d’organismes d’intérêt général et ce, à moindre frais pour l’entreprise, puisque la part du coût financier lié à la gestion de ces effectifs, en l’occurrence celle que représente les salariés mis à disposition de l’organisme d’intérêt général, sera en grande partie contrebalancée par les réductions d’impôts décrites ci-avant.
4. Régime fiscal
Le mécénat de compétences fait l’objet d’une doctrine fiscale relativement récente[24]. Les précisions qu’elle apporte permettent de sécuriser ce type d’opération.
- Valorisation
Pour l’administration, « la valorisation relève de la responsabilité propre de celui qui effectue le don et non de l’organisme bénéficiaire qui n’a pas à justifier de la valeur des biens et services reçus. »[25] Aussi, il appartiendra à l’entreprise mécène de maîtriser les règles d’évaluation des biens en nature qu’elle déclare comme dons au profit d’organismes reconnus d’intérêt général. A défaut, elle risque d’être sanctionnée sur le plan fiscal (cf. infra). Pour ouvrir droit au bénéfice de la réduction d’impôt (cf. supra), il est d’abord rappelé que le salarié doit être mis gratuitement à disposition par l’entreprise « pour y exercer réellement et effectivement une activité » au service d’un organisme visé à l’article 238 bis du CGI. Ensuite, s’agissant des modalités de valorisation à retenir, il est clairement stipulé que lorsque le mécénat prend la forme d’une mise à disposition gratuite de salariés, « ce don est évalué à son coût de revient, à savoir les rémunérations et charges sociales y afférentes. » La loi de finances pour 2020[26] a précisé que pour calculer la réduction d’impôt, le coût de revient à retenir dans la base de calcul correspond, pour chaque salarié mis à disposition, à ses rémunérations et charges sociales y afférentes dans la limite de trois fois le plafond de la Sécurité sociale, soit 10 284 € par mois en 2020[27]. La méthode de valorisation selon le coût de revient devra également être retenue « lorsque le don […] prend la forme d’une prestation non rémunérée »[28], la doctrine fiscale précisant désormais que « (…) les prestations de services données sont valorisées à leur coût de revient conformément au dernier alinéa 1 de l’article 238 bis du CGI », celle-ci ajoutant même dans cette dernière hypothèse, que le coût de revient pourra prendre en compte la totalité des « coûts supportés par l’entreprise pour (…) produire (…) la prestation donnée. »
- Réintégration extra-comptable
L’article 238 bis du CGI dispose que ces dons en nature ne sont pas déductibles pour la détermination du résultat imposable de l’entreprise. Dès lors qu’ils ont été acceptés par l’organisme bénéficiaire, l’entreprise doit procéder à une réintégration extra-comptable de leur valorisation, peu importe la méthode retenue. Cette réintégration nécessite d’utiliser l’imprimé n°2058-A-SD (CERFA n°10951) disponible en ligne sur le site www.impots.gouv.fr
- Contreparties
Il est précisé que « pour ouvrir droit à la réduction, le versement [en mécénat de compétences] doit procéder d’une intention libérale de l’entreprise et ne doit pas être la contrepartie d’une prestation que l’organisme [d’intérêt général] a effectué à son profit. »[29] Certes, si ce rappel s’impose, il n’empêche que cette doctrine récente ne devrait pas remettre en cause le régime de contreparties tolérées par l’administration fiscale elle-même, dès lors que le principe de « disproportion marquée »[30] entre la valeur du don en nature et les avantages obtenus par l’entreprise est respecté. Par conséquent, « les organismes [bénéficiaires] visés à l’article 238 bis du CGI peuvent [continuer à] associer le nom de l’entreprise donatrice aux opérations qu’ils réalisent. »[31] L’ensemble de ces contreparties doivent faire l’objet d’une valorisation par l’organisme bénéficiaire lui-même : soit, conformément à la valeur inscrite dans la convention de mécénat, si elle existe ; soit, en l’absence de convention de ce type, conformément au prix de vente du bien ou de service rendu – s’il fait l’objet d’une offre commerciale de la part de l’organisme bénéficiaire – ou à son prix de revient, si tel n’est pas le cas. La valeur définitivement retenue devra ensuite faire l’objet d’une déclaration par l’entreprise mécène.
- Obligations déclaratives
Les entreprises doivent reporter leurs réductions d’impôt au titre du mécénat de compétences sur une déclaration récapitulative des crédits et réductions d’impôt (formulaire n°2069-RCI-SD). Cette déclaration est obligatoirement souscrite par voie électronique[32]. Pour celles qui accordent plus de 10.000 € de dons ouvrant droit à la réduction d’impôt au cours d’un exercice, elles doivent en outre déclarer par voie électronique, en même temps que leur déclaration de résultats, les informations suivantes : montant et date de ces dons, identité des bénéficiaires ainsi que, le cas échéant, valeurs des services reçus, directement ou indirectement en contreparties[33]. En pratique, cette déclaration est réintégrée à la déclaration n°2069-RCI-SD.
- Sanctions
En cas de défaut de production, de production tardive, d’omissions ou d’inexactitudes dans la déclaration qui doit être fournie à l’administration fiscale, des amendes[34] peuvent être prononcées, sauf en cas de première infraction commise au cours de l’année civile en cours et des trois années précédentes[35]. Par ailleurs, le fait de délivrer sciemment des documents, tels que des certificats, reçus, états, factures ou attestations de dons, permettant à un contribuable d’obtenir indûment une réduction du revenu ou du bénéfice imposable, un crédit d’impôt ou une réduction d’impôt, entraîne également l’application d’une amende égale au taux de réduction ou du crédit d’impôt en cause et son assiette est constituée par les sommes indûment mentionnées sur les documents délivrés au contribuable ou, à défaut de mention de ces sommes, au montant de l’avantage fiscal indûment obtenu[36]. Dans une telle situation, il importe enfin de noter que les dirigeants de droit ou de fait de l’organisme bénéficiaire, en fonction au moment de la délivrance des documents irréguliers, sont solidairement responsables du paiement de l’amende[37].
Colas AMBLARD
Docteur en droit, Avocat
En savoir plus :
Références :
↑1 | L. 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations (JO du 2) NOR : MCCX0300015L |
↑2 | C. Amblard, Collectivités territoriales : les nouveaux acteurs du mécénat, Institut ISBL, 28 juill. 2016 |
↑3 | C. Amblard, La gouvernance des entreprises associatives : administration et fonctionnement, Dalloz, Juris associations, hors-série, août 2019, p. 194, n°432 et s. |
↑4 | Alliances stratégiques entre associations, entreprises et collectivités |
↑5 | Bofip impôts BOI-BIC-RICI-20-30-10-20 du 7 août 2019, par. 5 ; v. égal. Bofip impôts BOI 4C-5-04 du 13 juill. 2004, par. 50 |
↑6 | CGI, art. 238 bis, 1 |
↑7 | Ibid., 1 a à g |
↑8 | L. 2003-709 du 1er août 2003, préc. ; Bofip impôts BOI 4C-5-04, par. 28 ; v. égal. Cass. civ. 1ère 13 janvier 2016, n°14-28297 (Bull.) |
↑9 | A. Hubert et F. Goizin, chargés de mission DJEPVA, Guide du mécénat, Entreprises et associations, Ed. Min. du sport. 1er janv. 2010, p. 19 |
↑10 | CGI, art. 200 et 238 bis |
↑11 | LPF, art. L 80 A et B |
↑12 | C. Amblard, Intérêt général : des procédures de rescrit fiscal ingérables, Institut ISBL, 27 nov. 2017 ; voir égal. Intérêt général d’une association : le rescrit fiscal n’est pas l’unique moyen d’appréciation (à propos de C. cass., 2e ch. civ., 9 février 2017, 16-12423 et C. cass., 2e ch. civ., 9 février 2017, 16-11483 ), Institut ISBL, 22 avr. 2017 |
↑13 | C. trav. art. L. 8241-1 et s. |
↑14 | C. trav., art. 8241-1 et 8231-1 |
↑15 | Bofip impôts BOI-BIC-RICI-20-30-10-20, n°160 |
↑16 | B. Héraud, Qu’est-ce qu’une entreprise responsable en matière de RSE ? www.novhetic.fr, 2020 |
↑17 | C. com. publique, art. L 2112-2 |
↑18 | https://www.economie.gouv.fr/facileco/linvestissement-socialement-responsable |
↑19 | Au cours des exercice clos à compter du 31 décembre 2020 |
↑20 | CGI, art. 238 bis, 2 modifié par la loi 2019-1479 du 28 déc. 2019 : par dérogation, ne sont pas pris en compte pour l’application de ce seuil et ouvrent droit à une réduction d’impôt de 60% de leur montant les dons aux organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, qui contribuent à favoriser leur logement, ou qui procèdent, à titre principal, à la fourniture gratuite à des personnes en difficulté de certains soins, meubles et produits de première nécessité dont la liste est fixée par décret. |
↑21 | Bofip impôts BOI-BIC-RICI-20-30-20 n°10 et s. |
↑22 | Lorsque les dons excèdent ces limites, l’excédent est reporté successivement sur les cinq exercices suivants (ou années) et ouvrent droit à la réduction d’impôt, après pris en compte des versements de l’exercice, sans qu’il puisse en résulter un dépassement des plafonds de 60 ou 40 %. |
↑23 | Il est usuellement admis, notamment par le ministère de la culture, que la contrepartie peut représenter jusqu’à 25% de la valeur du don du mécène (source : Mémento F. Lefebvre, Associations, 2020, n°83321, p. 1489) |
↑24 | Bofip impôts BOI-BIC-RICI-20-30-10-20 du 7 août 2019 |
↑25 | Ibid, par. 30 |
↑26 | L. 2019-1479 du 28 déc. 2019, JO du 29, art. 134. |
↑27 | CSS art. L 241-3 |
↑28 | Bofip impôts BOI-BIC-RICI-20-30-10-20, préc., par. 70 |
↑29 | Ibid, par. 1 |
↑30 | Ibid, par. 160 |
↑31 | L. 99-1172 du 30 déc. 1999 de finances pour 2020 ; voir Ibid, par. 130 |
↑32 | CGI, art. 1649 quater B quater, XI |
↑33 | CGI, art. 238 bis, 6° ; CGI, ann. III art. 49 septies X modifié par D. 2019-513 du 27 mai 2019, applicable depuis le 30 mai 2019 |
↑34 | CGI, art. 1729 B, 1 et 2 |
↑35 | Ibid., 3 |
↑36 | CGI, art. 1740 A ; Cons. const. 12 oct. 2018 n°2018-739 QPC : RJF 12/18 n°1264 : l’application de l’amende requiert le caractère intentionnel de l’infraction pour les litiges en cours depuis le 13 oct. 2018 |
↑37 | CGI, art. 1754, V-2 |