INTÉRÊT GÉNÉRAL : DU PROJET À LA STRUCTURE JURIDIQUE
par
Colas AMBLARD
Docteur en droit, avocat associé NPS CONSULTING
Chargé d’enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon III
Juris-associations (Dalloz), n°562, 1er juillet 2017
Pour les porteurs de projet d’intérêt général, le choix de la structure juridique peut s’avérer délicat. Une réflexion méthodologique élaborée à partir de critères distinctifs doit leur permettre d’opérer un choix stratégique parmi les principales formules existantes : association, fondation, fonds de dotation.
Choisir la structure porteuse adéquate conditionne en bonne partie la pérennisation du projet d’intérêt général. Pour cela, le ou les fondateurs doivent engager un processus de réflexion en sept étapes successives.
ÉTAPE 1 : OBJECTIF(S) POURSUIVI(S)
À la différence de l’association simplement déclarée qui peut avoir un objet statutaire plus large, les fondations et associations reconnues d’utilité publique (FRUP et ARUP) ainsi que les fonds de dotation sont a priori constitués en vue de satisfaire un besoin d’intérêt général[1]. À ce propos, il est intéressant de constater qu’en faisant figurer expressément la notion d’intérêt général dans la définition juridique du fonds de dotation[2], le législateur a créée une brèche dans le monopole[3] dont dispose actuellement l’administration fiscale en matière de définition de l’intérêt général[4]. Pour autant, il s’agit d’aller au-delà de la réalité statutaire[5]. C’est pourquoi le contrôle de l’administration fiscale porte sur les activités réellement exercées. Pour les fonds de dotation, ce contrôle est renforcé dans la mesure ou ils doivent adresser chaque année leur rapport d’activité en préfecture.
ÉTAPE 2 : DÉLAI DE MISE EN ŒUVRE
La nécessité de mettre rapidement en œuvre un projet d’intérêt général peut orienter le choix de la structure. Le fonds de dotation peut être constitué dans un délai très court (un mois à partir de la date de déclaration en préfecture), à la différence de l’ARUP (entre six et dix-huit mois), de la fondation d’entreprise (cinq mois), voire de la FRUP (entre six et vingt- quatre mois). Sur ce point, seule l’association simplement déclarée peut rivaliser avec le fonds de dotation, sachant que l’un et l’autre pourront faire l’objet d’une création rapide dans le but de prendre date et/ou d’évoluer par la suite vers le statut de fondation RUP [6].
ÉTAPE 3 : MOYENS HUMAINES ET MATÉRIELS
Le porteur de projet doit apprécier l’étendue des moyens humains et matériels dont il dispose au moment du choix de sa structure juridique. Sur ce point, l’apparition du fonds de dotation a ouvert de nouvelles perspectives en offrant la possibilité de regrouper des bénévoles – particulièrement nécessaires pour les fonds dits « opérationnels »[7] – tout en obligeant à mobiliser un minimum de moyens matériels (dotation initiale).
- Moyens matériels
Lorsque le porteur de projet sera en capacité de réunir des moyens matériels importants, ce dernier pourra être tenté d’orienter son choix vers des structures plus « institutionnelles ». En effet, la création d’une FRUP exige en pratique d’apporter une dotation initiale de 1,5 million d’euros sur une période comprise entre cinq et dix ans[8], tandis que la fondation d’entreprise (FE) requiert un financement minimum de 150 000 euros[9] au moment de sa constitution. D’autres institutions s’avèrent plus abordables : l’ARUP nécessite de réunir un budget minimum annuel de 46 000 euros selon la pratique du Conseil d’État[10], alors que pour créer un fonds de dotation, la réunion d’une dotation initiale en numéraire d’au minimum 15 000 euros sera suffisante[11].
- Moyens humains
S’agissant du secteur associatif, il est traditionnellement admis qu’il repose essentiellement sur la force du bénévolat. L’association simplement déclarée nécessite la réunion d’au moins deux personnes lors du dépôt de ses statuts en préfecture tandis que les ARUP obligent à la réunion d’un minimum de 200 membres[12]. Concernant les fondations d’entreprise, seuls les sociétés civiles ou commerciales, les établissements publics, industriels et commerciaux, les coopératives ou les mutuelles peuvent créer ce type d’institution sans but lucratif (ISBL), à l’exclusion de toutes autres personnes (physiques et associations). La FRUP et le fonds de dotation sont, quant à eux, des organismes unipersonnels apparaissant parfaitement adaptés aux projets ne nécessitant pas de réunir des moyens humains importants. Ce sera particulièrement le cas des fonds de dotation « relais. »
Le recours à la FRUP ou au fonds de dotation peut donc être envisagé dans le cadre :
– d’un projet philanthropique familial[13], voire individuel ;
– d’un projet d’intérêt général porté par une collectivité publique souhaitant uniquement mobiliser des fonds privés ou par l’État en vue de recourir à une formule plus souple que le groupement d’intérêt public[14] et dès lors que ce dernier souhaite conserver une totale maîtrise du projet sans pour autant être à l’origine de son financement.
ÉTAPE 4 : RESSOURCES
Le fondateur doit prendre en compte la nature des ressources autorisées pour la mise en œuvre d’une structure porteuse d’un projet d’intérêt général. À l’instar de la FRUP, le fonds de dotation et, plus récemment, les associations reconnues d’intérêt général depuis au moins trois ans[15] se caractérisent par une « très » grande capacité juridique puisqu’ils disposent du droit de recevoir des libéralités (dons et legs), de posséder des immeubles de rapport et de recourir à la procédure d’appel public à la générosité[16]. Cette pleine et entière capacité juridique ne doit cependant pas occulter un élément déterminant avant de mettre en œuvre un fonds de dotation : l’impossibilité de percevoir des fonds publics sous quelque nature qu’ils soient, sauf autorisation exceptionnelle[17].
ÉTAPE 5 : PROGRAMME D’ACTIVITÉ
À la différence de la fondation d’entreprise ainsi que des ARUP et FRUP qui doivent déposer un programme d’action pluriannuel au moment de leur création[18], le fonds de dotation et l’association simplement déclarée peuvent élaborer leur programme d’activité dans les mois qui suivent le dépôt de leurs statuts en préfecture. Toutefois, il appartiendra au fonds de dotation de transmettre à la préfecture son rapport d’activité dans les six mois à compter de la clôture de l’exercice[19].
ÉTAPE 6 : GOUVERNANCE ET CONTRÔLE
Les critères de gouvernance et de contrôle constituent des éléments déterminants sur le plan des enjeux stratégiques.
- Gouvernance
Le fonds de dotation bénéficie d’un certain nombre d’avantages par rapport aux autres ISBL « concurrentes » tout en se rapprochant du régime des fondations d’entreprise : il peut être un organisme unipersonnel, c’est-à-dire créé par une seule et unique personne physique ou morale sous réserve de nommer, la première fois, au minimum trois administrateurs – dont peut faire partie le fondateur lui-même ou son représentant légal[20] – sans autorisation préfectorale préalable, à la différence de la fondation d’entreprise[21]. Il offre une complète maîtrise du projet, des biens et droits apportés, évitant ainsi les habituels avatars liés à la mise en œuvre d’une vie démocratique (perte de maîtrise du projet, lenteur du processus de décision, conflits éventuels, etc.), conformément au fonctionnement traditionnel des associations, voire, à un degré moindre, des fondations RUP dans la mesure où leurs statuts types obligent à désigner entre sept et douze administrateurs[22] répartis en trois collèges distincts[23] disposant de la même influence en matière de gouvernance.
- Contrôle
Le fonds de dotation et l’association simplement déclarée sont les seules ISBL dédiées à l’intérêt général qui ne supportent aucun contrôle d’opportunité au moment de leur création. Le législateur entend ainsi faciliter au maximum la création de ce type d’organismes destinés à dynamiser la philanthropie en France. A l’inverse, les ARUP et FRUP doivent satisfaire au contrôle préalable des ministères concernés après avis du Conseil d’État. Les fondations d’entreprise sont, quant à elles, soumises à autorisation préalable délivrée par la préfecture pour se constituer, de même que les associations souhaitant exercer certaines activités réglementées et qui doivent, au moment de leur création, être agréées par la préfecture[24].
Si la création du fonds de dotation a été facilitée par le législateur, l’idée selon laquelle il
ne supporte aucun contrôle est erronée[25]. L’obligation de nommer un commissaire aux
comptes (CAC) afin de certifier les comptes annuels s’impose à lui à partir d’un montant de
ressources annuelles extrêmement faible (10000 euros)[26].
Les associations simplement déclarées sont dispensées de ces obligations, sauf dispositions particulières[27], tout comme les ARUP dans des conditions identiques. Par ailleurs, l’obligation pour les fonds de dotation de tenir une comptabilité en application de l’article 140 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie[28] et le recours quasi systématique à un CAC constituent, au contraire, des garanties. Comme le contrôle a posteriori du préfet qui dispose d’un pouvoir d’investigation extrêmement important dans le cadre du fonctionnement interne et financier du fonds de dotation et peut même saisir l’autorité judiciaire d’une demande de dissolution en cas de constatation de dysfonctionnements graves[29].
ÉTAPE 7 : RÉGIME FISCAL
À l’instar des autres ISBL, le fonds de dotation est par principe considéré comme une structure juridique non assujettie aux impôts commerciaux dès lors qu’il ne réalise aucune activité lucrative[30] ou si ses activités économiques respectent les critères de non-lucrativité[31]. Par conséquent, c’est sur la fiscalité applicable aux revenus du patrimoine qu’il se distingue des autres structures – telles que notamment les associations simplement déclarées, les ARUP et les fondations d’entreprise – dans la mesure où il bénéficie d’un régime d’exonération d’impôt sur les sociétés (IS) au taux réduit sur ses revenus patrimoniaux[32] – en cas de dotation non consomptible uniquement – et d’une exonération des droits de mutation à titre gratuit concernant les dons et les legs perçus[33], à l’instar des FRUP. Enfin, comme toute institution dédiée à l’intérêt général, le fonds de dotation est éligible au régime du mécénat34] mais ne peut cependant pas bénéficier du système de réduction d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF)[35], contrairement aux fondations d’entreprise, FRUP et quelques associations particulières telles que les associations intermédiaires.
Assurément, en fonction du développement du projet initial, le ou les fondateurs pourront envisager de mixer ces différentes formes juridiques afin de multiplier les avantages, notamment sur le plan fiscal. Aussi, il leur sera possible, dans un premier temps, de créer une association simplement déclarée pour lancer le projet et fédérer des bénévoles pour, dans un second temps, diversifier leurs ressources par la création d’un fonds de dotation[36], voire d’une filiale commerciale[37]. De la même façon, il a été vu précédemment que des avancées législatives récentes permettaient également de faire évoluer la structure, l’association ou le fonds de dotation étant susceptibles de se transformer en FRUP depuis la loi du 31 juillet 2014 relative l’économie sociale et solidaire[38]. En d’autres termes, les formules ci-avant proposées ne sont pas exclusives les unes des autres et peuvent parfaitement se compléter afin de suivre au plus près les évolutions du projet initial et/ou saisir les opportunités.
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Les Notes :
1. CGI, art. 200.
2. L. no 2008-776 du 4 août 2008, JO du 5, art. 140, I ; v. égal. dossier« Fonds de dotation – Le fonds et la forme », JA n° 521/2015, p. 16.
3. HCVA, « Rapport sur la notion d’intérêt général fondant l’intervention des associations », 25 mai 2016, JA n° 541/2016, p.3 et p.6 ; JA n° 546/2016,p.14; v.égal. C. Amblard, JA n° 533/2016, p. 31.
4. C. Amblard, « Intérêt général, utilité publique ou utilité sociale : quel mode de reconnaissance pour le secteur associatif ? », Recma n° 315, 2010, p. 21-39 ; T. Guillois, JA no 523/2015, p. 3 ; v. égal. dossier « Rapports et réglementation – Travaux d’intérêt général », JA n° 546/2016, p. 18, spéc. C. Amblard, p. 24.
5. CGI, art. 238 bis.
6. L. no 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août, art. 83 (réd. L. no 87-571 du 23 juill. 1987, JO du 24, art. 20-2) et art. 87 (réd. L. n° 2008-776, préc., art. 140, XI) ; L. Bessède, JA n° 555/2017, p. 36.
7. C. Amblard, Fonds de dotation – Une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, coll. « Axe droit », Lamy, 2e éd., nov. 2015.
8. L’article 18-1 de la loi no 87-571 prévoit la possibilitéde fractionner sur une période maximale de dix ans ; cinq ans selon l’avis du Conseil d’État du 13 mars 2012 (modèle de statut I, note 24 ; modèle de statut II).
9. L. no 87-571, préc., art. 19 et 19-7 ; décr. n° 91-1005 du 30 sept. 1991, JO du 2 oct.
10. Rép. min. à J.-C. Flory, JOAN Q du 15 juill. 2008, n° 16885.
11. L. n° 2014-856, préc., art. 85, réd. L. n° 2008-766, préc., art. 140, III ; décr. n° 2015-49 du 22 janv. 2015, JO du 24, réd. décr. n° 2009-158 du 11 févr. 2009, JO du 13, art. 2 bis.
12. Rép. min. à A. Wojciechowski, JOAN q du 4 mars 2008, no 6621.
13. C. Amblard, « Le rôle des fondations et fonds de dotation dans la transmission d’entreprise : vers un renouveau du capitalisme en France ? », Lamy Associations Actualités n° 238, juin 2015.
14. Instr. n° 2012-11-1624 du 27 févr. 2013.
15. L. n° 2014-756, préc. , art. 74, mod. L. du 1er juill. 1901, JO du 2, art. 6.
16. Décr. n° 2017-908 du 6 mai 2017, JO du 10.
17. L. no 2008-776, préc., art. 140, III, al. 3.
18. L. no 87-571, préc., art. 19 et 19-4 ; décr. n° 91-1005, préc., art. 3 et 7.
19. L. no 2008-776, préc., art. 140, VII, al. 2 ; circ. NOR : ECEM0908677C du 19 mai 2009, ann., titre II, 2.1.
20. Circ. NOR : IOCD1031294C du 3 déc. 2010, recommandation n° 5.
21. L. no 87-571, préc., art. 19-1 ; décr. n° 91-1005, préc., art. 2 à 6
22. Statut modèle I approuvé par le Conseil d’État dans sonavis du 13 mars 2012, note 8.
23. Ce 16 avr. 2010, n° 305649.
24. Par exemple, les associations caritatives mettant en place un dispositif d’aide alimentaire (C. rur., art. L. 230-6).
25. p. Morange, « Rapport d’information sur la gouvernance et le financement des structures associatives », n° 1134, 1er oct. 2008, p. 90.
26. L. n° 2008-776, préc., art. 140, VI.
27. Par exemple, pour les associations bénéficiant de plus de 153 000 euros de sub- ventions (C. com., art. L. 612-4 et D. 612-5).
28. L. n° 2008-776, préc.
29. L. n° 2008-776, préc., art. 140, VII, al. 3.
30. Ou dans la limite de la franchise commerciale de 61 634 euros.
31. BOFIP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20 du 12 sept. 2012.
32. CGI, art. 206, 5.
33. CGI, art. 200, 1, g).
34. CGI, art. 200 et 238 bis.
35. BOFiP-Impôts, BOI-PAT-ISF- 40-40-10 du 6 juin 2016.
36. C. Amblard, « L’intérêt pour les associations de créer un fonds de dotation », Lamy Associations Actualités n° 181, avr. 2010.
37. C. Amblard, JA n° 525/2015, p. 37.
38. L. n° 2014-856, préc., v. note 6
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