Si la loi du 1er juillet 1901 a introduit la liberté d’association en droit français, la rédaction des statuts[1] demeure notoirement insuffisante pour bon nombre de structures associatives. Outre l’insécurité juridique qu’elle génère, cette situation est d’autant plus regrettable que la nature contractuelle des associations offre de nombreuses opportunités pour gagner en efficacité.
L’article 1 de la loi du 1 juillet 1901 définit l’association comme une « convention […] régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations ». Ce contrat doit comprendre au moins deux membres dont la volonté permanente traduit un but autre que lucratif. C’est donc précisément sur cette nature explicitement contractuelle que les associations – en particulier celles relevant du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS)[2] – doivent capitaliser pour valoriser les spécificités de ce « mode d’entreprendre »[3] et améliorer leur gouvernance.
DE L’IMPORTANCE DE LA NATURE CONTRACTUELLE ASSOCIATIVE
Liberté statutaire
Élevée au rang des principes à valeur constitutionnelle[4], la liberté d’association peut être appréhendée sous deux angles distincts :
- il s’agit d’abord d’une liberté « individuelle » fondée sur la liberté contractuelle[5], c’est-à-dire la liberté pour chacun de créer une association, de s’en retirer et d’en déterminer les règles de fonctionnement ;
- c’est ensuite une liberté « collective » offrant à l’association – en tant que personne morale – la capacité de se développer et d’exercer l’activité qu’elle a choisie dans le cadre des lois en vigueur[6].
Il en résulte que le contenu des statuts associatifs est par principe libre et ce n’est que par dérogation que certaines associations seront contraintes d’adopter des stipulations particulières[7].
Nature contractuelle
Sur le plan pratique – et à défaut de contraintes spécifiques imposées par la loi –, ce sont donc bien les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations figurant dans le code civil qui régiront les différentes étapes essentielles de l’existence juridique de l’association :
- sa « naissance » est conditionnée par le libre consentement des parties[8] ;
- sa « vie » s’organise à partir de la liberté contractuelle[9] et de la force obligatoire des contrats[10], en particulier pour ce qui concerne le pouvoir disciplinaire, la direction et les assemblées générales ;
- sa«mort», c’est-à-dire sa dissolution[11], est également régie par les règles relatives au contrat, notamment celles applicables à la réalisation, la disparition ou la nullité de l’objet ainsi qu’à la résolution du contrat[12].
Dimension collective
L’approche de la notion d’association à partir de sa nature contractuelle ne présente pas simplement un intérêt doctrinal :
- elle permet, d’une part, de s’opposer à l’idée reçue selon laquelle le droit des associations serait un dispositif lacunaire et par conséquent facile à mettre en œuvre ;
- elle offre, d’autre part, l’occasion de souligner combien la singularité de ce « mode d’entreprendre »[13] repose sur sa dimension intrinsèquement collective puisque, dès son origine, il regroupe nécessairement plusieurs parties aux intérêts convergents (membres fondateurs).
Sur un plan pratique, les statuts doivent donc s’attacher à préserver cette convergence d’intérêts, tout en organisant l’intégration progressive de nouvelles parties prenantes au projet. Ce travail spécifique oblige les rédacteurs à appréhender l’association comme un acte unilatéral collectif[14] avant de pouvoir l’envisager en tant qu’institution sans but lucratif (ISBL).
L’association : un contrat-organisation…
Dans ce type de contrat, les membres fondateurs unissent leurs volontés pour la réalisation d’un but commun (affectio associationis). Mais contrairement à la plupart des autres contrats, où les intérêts des uns s’opposent le plus souvent aux intérêts des autres, la spécificité du contrat associatif réside principalement dans le fait que la logique de l’échange y est exclue au profit d’une logique de coopération.
L’association peut ainsi recevoir la qualification juridique de « contrat-organisation »[15] par opposition au « contrat-échange » : le premier est celui qui « crée entre les parties les conditions d’un jeu de collaboration où les deux parties peuvent gagner ou perdre conjointement, et leurs intérêts sont donc structurellement convergents »[16] ; il s’oppose au second qui « établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd et les intérêts des contractants y sont donc largement divergents »[17], tels le contrat de vente ou encore les conventions collectives. En définitive, la fonction du contrat d’association – matérialisé par les statuts – consiste rien moins qu’à fournir un cadre juridique d’organisation adapté et stable permettant à un groupe de personnes bénévoles de réaliser des objectifs communs.
… appelé à devenir (ou non) une institution sans but lucratif
Dès lors que les statuts font l’objet d’une déclaration en préfecture[18], l’association ne peut plus être appréhendée comme un simple contrat après publication d’un extrait au Journal officiel[19]. Cette procédure administrative de reconnaissance personnifie la volonté des membres fondateurs de donner à leur groupement commun la qualité d’institution, c’est-à-dire la personnalité juridique[20]. De fait, l’organisation contractuelle ab initio laissera place à une organisation légale imposant précisément à la personne morale de poursuivre un but autre que lucratif.
L’association devient alors un groupement de personnes organisé de façon impérative dans un but collectif, distinct de l’intérêt personnel de ses membres. Ce faisant, elle disposera :
- de la capacité juridique, lui permettant de conclure des contrats, de disposer des ressources nécessaires ou encore d’agir en justice par l’intermédiaire de représentants et la rendant également civilement et pénalement responsable ;
- d’un patrimoine autonome qu’il convient de gérer grâce à une organisation spécifique.
Autant d’attributs dont les associations ont un besoin vital pour mener à bien leurs objectifs, qu’ils soient d’utilité sociale[21] ou/et d’intérêt général[22].
Efficacité d’action
Si les associations se montrent particulièrement méfiantes à l’égard des logiques d’efficacité, c’est uniquement en raison des contraintes administratives supplémentaires qu’elles génèrent. A fortiori lorsqu’elles sont unilatéralement imposées par la puissance publique à partir de critères ne permettant pas d’appréhender l’ensemble des « externalités positives » produites.
En revanche, la contrainte de résultats parcourt les associations comme les autres modes d’entreprendre. Bien qu’elles soient a priori débarrassées de toute logique de profit[23], la recherche d’efficacité n’en demeure pas moins l’une des préoccupations majeures d’un grand nombre d’associations œuvrant dans des secteurs d’activité très divers (services à la personne, action sanitaire, sociale et médico- sociale, culture, loisirs, etc.). Pour ces « entreprises socialement intéressées »[24], elle constitue même la finalité du « pacte social », passé non seulement entre les membres mais également avec leurs salariés. Sans quoi toute innovation – sociale[25] – ou amélioration de leurs pratiques seraient tout simplement impossibles à produire.
DE L’IMPORTANCE DES STATUTS POUR AMÉLIORER SON EFFICACITÉ D’ACTION
Les associations étant d’essence contractuelle, vers quelle organisation statutaire doivent-elles s’orienter pour préserver leur dimension collective et améliorer leur efficacité d’action ? À ce stade, on constate que les fondateurs se contentent trop souvent de déclarer des statuts types alors que ceux-ci sont généralement inadaptés à un groupement dont les adhérents sont souvent en nombre limité au début du projet. Ils devraient donc, au contraire, attacher une attention toute particulière à l’organisation statutaire de leur association pour, dès le départ, proportionner ses règles de fonctionnement au développement souhaité.
Clarifier ses objectifs et moyens d’action
L’article 1128 du code civil exige, pour la validité d’une convention, « un contenu licite et certain ». En droit des associations[26], la cause doit être perçue comme le but poursuivi par les membres du groupement et l’objet comme les moyens réellement mis en œuvre pour y parvenir[27]. Sur un plan pratique, cette distinction juridique fondamentale permettra en outre d’optimiser le régime fiscal de l’association.[28]
Favoriser le bénévolat actif
En application du principe de liberté contractuelle, les associations sont en droit de choisir leurs membres au regard de leur capacité de mise en commun permanente (apport en industrie, en nature ou en numéraire, etc.). Cependant, toute clause statutaire de nature à restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché[29] ou présentant un caractère discriminatoire par l’usage de critères distinctifs – fondés, par exemple, sur le sexe[30] ou l’orientation politique[31] – devra être évitée, notamment lorsque ces critères sont organisés sans motif légitime ou non motivés par l’objet social du groupement. En revanche, les statuts pourront prévoir l’organisation de commissions spécialisées qui favorisent une implication plus active des membres bénévoles.
Organiser la prise de décision
En principe, les statuts déterminent librement la répartition des pouvoirs entre les organes dirigeants[32]. La seule contrainte imposée aux associations par la loi 1901 – en son article 5, alinéa 2 – consiste à faire connaître « ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de [leur] administration ». Aussi, l’organisation statutaire prévoyant l’élection par l’assemblée générale d’un conseil d’administration, qui désigne ensuite un bureau composé d’un président, trésorier et secrétaire, n’est pas obligatoire. Le ou les organes dirigeants doivent être adaptés aux besoins et à la taille de l’association. Les statuts doivent aussi et surtout définir avec précision les pouvoirs respectifs de chaque organe dirigeant.
Protéger et contrôler ses dirigeants
Les dirigeants d’une association sont mandataires du groupement[33]. Par conséquent, ceux-ci commettent une faute lorsqu’ils dépassent les pouvoirs statutaires qui leur ont été confiés[34]. Dès lors, la protection des dirigeants passe nécessairement par une rédaction précise des statuts. Ceux-ci devront en outre intégrer la règle d’ordre public selon laquelle une association est libre de révoquer le mandat qui la lie à ses dirigeants quand bon lui semble – révocation ad nutum[35].
Éviter toutes difficultés d’interprétation des statuts
Les statuts et le règlement intérieur, s’il existe, étant le pacte social, il est nécessaire de suivre les directives d’interprétation des contrats. Il s’agit donc de rechercher la commune intention des parties, conformément à l’article 1189 du code civil[36]. En cas de conflit, l’interprétation des statuts relève du pouvoir souverain du juge. Pour tenter d’éviter une telle situation, les statuts peuvent donner compétence à un organe indépendant chargé de les interpréter – avec force obligatoire –, évidemment sauf si la disposition à interpréter le concerne[37].
Dans la durée, l’amélioration de l’efficacité d’action dépendra en définitive de la capacité des membres à revisiter régulièrement le « pacte social » de leur association de manière à adapter en permanence les statuts et le règlement intérieur à ses objectifs, ses caractéristiques propres, son fonctionnement – réel et souhaité –, ses besoins, sa taille et son activité.
Colas AMBLARD, Docteur en Droit, Avocat
En savoir plus :
↑1 | Dossier « Statuts – Ateliers de fabrication », JA 2017, n° 564, p. 17. |
---|---|
↑2 | L. n° 2014-856 du 31 juill. 2014, art. 1er. |
↑3 | JA 2018, n° 582, p. 35, étude C. Amblard. |
↑4 | Cons. const. 16 juill. 1971, n° 71-44 DC. |
↑5 | C. civ., art. 6 et 1102 |
↑6 | Com. 28 nov. 2018, n° 17-18.619. |
↑7 | Tel est le cas, par exemple, de celles offrant des produits à la vente ou fournissant des services (C. com., art. L. 442-10), de celles qui émettent des titres associatifs (C. mon. fin., art. L. 213- 10, 2) ou encore des associations assujetties à un agrément spécifique, voire à l’obligation d’adopter des statuts types telles que les associations reconnues d’utilité publique (ARUP). |
↑8 | C. civ., art. 1113. Elle est également conditionnée par leur capacité de contracter et le contenu licite et certain du contrat ; v. C. civ., art. 1128 et s. |
↑9 | C. civ., art. 1102. |
↑10 | C. civ., art. 1103. |
↑11 | Dossier « Dissolution – Chronique d’une mort annoncée », JA 2019, n° 599, p. 18. |
↑12 | C. civ., art. 1184. |
↑13 | C. Amblard, La Gouvernance des entreprises associatives, Juris éditions – Dalloz, coll. « Hors-série », 2019. |
↑14 | G. Roujou de Boubée, Essai sur l’acte juridique collectif, thèse, Toulouse, LGDJ, 1961, p. 53 et s. |
↑15 | P. Hoang, La Protection des tiers face aux associations. Contribution à la notion de « contrat-organisation », Éditions Panthéon-Assas, 2002. |
↑16 | P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’Avenir du droit. Mélanges en l’honneur de François Terré, Dalloz, 1999, p. 635. |
↑17 | Ibid. |
↑18 | L. du 1er juill. 1901, art. 2 et 5 : pour rappel à ce stade, en principe, une association n’est pas obligée d’acquérir la personnalité juridique. |
↑19 | Ibid., art. 5, al. 2 ; décr. du 16 août 1901, art. 1er, al. 1er. |
↑20 | M. Hauriou, « L’institution et le droit statutaire », in Recueil de législation de Toulouse, 1906, p. 174 : par institution, il faut entendre « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes ; d’autre part, entre les membres du groupe social intéressé à la réalisation de l’idée, il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures ». |
↑21 | Ibid. ; JA 2020, n° 613, p. 37, étude C. Amblard. |
↑22 | Ibid. ; JA 2016, n° 546, p. 24, étude, C. Amblard, in dossier « Rapports et réglementation – Travaux d’intérêt général ». |
↑23 | C. Amblard, « But non lucratif : un concept incontournable encore mal appréhendé par les associations », institut-isbl.fr, 26 juill. 2020. |
↑24 | C. Amblard, La Gouvernance des entreprises associatives, préc., nos 432 et s., p. 194. |
↑25 | L. n° 2014-856, préc., art. 15. |
↑26 | L. du 1er juill. 1901, préc., art. 3. |
↑27 | C. Amblard, « Association et activité économique », Lamy associations, Wolters Kluwer, étude 246. |
↑28 | C. Amblard, « Activités lucratives des associations : comment optimiser sur le plan fiscal ? », institut-isbl.fr, 30 avr. 2022. |
↑29 | C. com., art. L. 420-1 ; Cons. conc. 18 mai 1993, n° 93-D-13, RJDA 7/93 no 632. |
↑30 | Soc. 6 juin 2012, n° 10-21.489. |
↑31 | Civ. 1re, 9 juill. 2015, n° 14-20.158. |
↑32 | Civ. 1re, 5 févr. 1991, n° 88-11.351. |
↑33 | C. civ., art. 1984 et s. |
↑34 | Orléans, 29 avr. 2019, n° 18/00435. |
↑35 | C. civ., art. 2004 ; Paris, 2 déc. 2020, n° 18/22620. |
↑36 | V. égal. C. civ., art. 1103 et 1104. |
↑37 | Paris, 2 avr. 1991, RTD com. 1991. 413. |
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