La maîtrise du régime fiscal constitue un élément incontournable dans l’élaboration des modes de gouvernance des associations. Démonstration.
Les dirigeants associatifs ne doivent plus simplement appréhender la règle fiscale comme une contrainte, mais comme un véritable outil stratégique au service du développement de leur association.
Objectifs associatifs
Les règles fiscales applicables aux organismes sans but lucratif (OSBL) permettent aux dirigeants de définir clairement les objectifs poursuivis par leur association, notamment :
- celle poursuivant un but d’utilité sociale1) doit respecter les critères de gestion désintéressée2). Lorsque cet objectif oblige ce type de groupement à adopter une posture entrepreneuriale3) par la vente de prestations de services ou de biens, il lui appartiendra également de se démarquer du secteur concurrentiel traditionnel4) en proposant une plus-value sociale ajoutée, au regard des critères de la règle des « 4P »5) ;
- celle poursuivant un but d’intérêt général doit, en outre, exercer une activité d’intérêt général au sens de l’article 200 du code général des impôts (CGI) et, pour pouvoir bénéficier du régime de mécénat6) dans un cadre sécurisé, ne pas réserver le bénéfice de ses actions à un cercle restreint de membres7).
Dans tous les cas, c’est-à-dire quels que soient les objectifs poursuivis par l’association, le maintien de son statut d’organisme non assujetti aux impôts commerciaux8) passe par le respect du principe d’interdiction de partage entre les membres des excédents éventuellement réalisés9). Il lui appartiendra également d’éviter toutes relations privilégiées avec des entreprises commerciales susceptibles d’en tirer des avantages10).
Positionnement économique
Sauf situation particulière11), l’association a le plus souvent tout intérêt à conserver son statut fiscal d’OSBL. Dès lors, lorsque ce type de groupement décide d’investir le champ économique, il lui faudra sécuriser son positionnement vis-à-vis des autres opérateurs économiques intervenant dans le même champ concurrentiel qui sont quant à eux assujettis. Pour ce faire, les dirigeants associatifs doivent comprendre qu’il leur faut orienter leur association selon deux angles distincts :
- sur le plan juridique, et afin d’éviter tout risque de concurrence déloyale12), les opérations économiques ou commerciales13) habituellement réalisées par les associations doivent expressément figurer dans leurs statuts14);
- sur le plan fiscal, si, tout en souhaitant absolument conserver son statut d’OSBL, ce type de groupement adopte un comportement entrepreneurial pour tout ou partie de ses activités, il devra en permanence innover socialement et absolument maintenir cet avantage compétitif15) vis-à-vis des autres entreprises commerciales traditionnelles. Sur le plan fiscal, cela veut dire concrètement que les associations doivent prioritairement veiller au respect du critère d’utilité sociale précisé par la méthode des « 4 P » :
- le produit : « est d’utilité sociale l’activité qui tend à satisfaire un besoin qui n’est pas pris en compte par le marché ou qui l’est de façon peu satisfaisante »16) ;
- et/ou le public bénéficiaire : « sont susceptibles d’être d’utilité sociale les actes payants réalisés principalement au profit de personnes justifiant l’octroi d’avantages particuliers au vu de leur situation économique et sociale »17).
- La politique tarifaire pratiquée par ces groupements socialement intéressés devra en outre prévoir des prix « nette- ment inférieur[s] » au prix du marché ou « modulés en fonction de la situation du bénéficiaire »18). En outre, ce critère des conditions d’accès du public est réputé respecté « lorsque les tarifs de l’organisme se trouvent homologués par la décision particulière d’une autorité publique ».
- Enfin, la publicité commerciale devra être limitée au profit d’une simple information du public.
Moyens d’action
Les dirigeants associatifs doivent s’interroger sur les moyens d’action qu’ils souhaitent mettre en œuvre afin d’assurer le finance- ment des objectifs statutaires de leur association. En effet, certaines activités n’ont d’autres objectifs que de lui procurer des ressources supplémentaires et, lorsque ces activités-moyens19) présenteront un caractère lucratif 20) (buvette, sponsoring, vente de produits dérivés, location de salles, formation professionnelle, etc.), leur régime fiscal devra être correctement maîtrisé afin d’éviter tout risque de contamination fiscale aux autres ressources non lucratives du groupement :
- si elles demeurent accessoires, le chiffre d’affaires réalisé au titre d’un exercice civil ne devra pas dépasser le seuil de franchise des impôts commerciaux annuel, à savoir 72 000 euros pour 202021) ;
- en cas de risque de dépassement dudit seuil, il appartiendra à l’association de procéder au préalable à une sectorisation comptable22) ;
- enfin, avant même que ces activités lucratives sectorisées ne deviennent prépondérantes au sein du groupement associatif, il conviendra de prévoir la création d’une filiale dédiée23), par exemple une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), une coopérative ou encore une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).
Par conséquent, la gestion des moyens d’action dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique d’hybridation des ressources oblige à beaucoup de vigilance de la part des dirigeants et un suivi régulier de l’évolution de leur association.
Hybridation des ressources
Compte tenu des objectifs poursuivis, les associations ont généralement intérêt à éviter tout risque de globalisation fiscale. En effet, une remise en question de leur régime d’OSBL aurait pour effet de priver définitivement ces groupements du droit de bénéficier du mécénat, mais également, pour certains, depuis la loi du 31 juillet 201424), de recevoir des libéralités ou de gérer des immeubles de rapport. Enfin, lorsque l’association est assujettie aux impôts commerciaux, la possibilité de percevoir des subventions devient plus difficile en raison d’un encadrement juridique plus contraignant25) et, surtout, de la réticence de plus en plus grande des pouvoirs publics à soutenir financièrement ce type d’organisme.
À l’inverse, toute association à caractère économique réussissant à préserver son statut fiscal d’OSBL s’ouvre de larges perspectives en matière d’hybridation de ses ressources. Outre le mécénat, elle demeurera éligible aux subventions publiques tout en bénéficiant de la franchise des impôts commerciaux26) ainsi que de l’exonération spécifique liée à l’organisation de manifestations de bienfaisance ou de soutien27).
La maîtrise des règles fiscales constitue pour les dirigeants un vrai outil de pilotage de leur association. C’est donc bien en fonction des objectifs qu’elle s’assigne et du modèle économique adopté que l’association disposera d’une marge de manœuvre plus ou moins importante en matière d’hybridation de ses ressources publiques et privées.
Statut des dirigeants
Le critère fiscal lié à la gestion désintéressée impose par principe aux dirigeants de conserver un statut de bénévole au sein de l’association. Néanmoins, depuis 199828), une tolérance administrative permet à ces structures de conserver leur statut d’OSBL tout en rémunérant tout ou partie de leurs dirigeants jusqu’au seuil maximum des trois quarts du Smic brut mensuel29). Depuis 2001, les associations disposant de ressources propres – hors financements publics – supérieures à 200 000 euros, 500 000 euros ou 1 million d’euros durant trois exercices consécutifs peuvent respectivement rémunérer un, deux ou trois dirigeants maximum sans toutefois pouvoir dépasser le seuil limite de trois fois le plafond de la Sécurité sociale30).
Cette dérogation légale est, en outre, assortie d’un certain nombre d’obligations31) en matière de transparence financière, de fonctionnement démocratique de l’organisme ainsi que d’adéquation de la rémunération aux sujétions imposées aux dirigeants concernés. Une telle approche plus ouverte du critère de gestion désintéressée permet ainsi aux associations de pallier les difficultés qu’elles rencontrent pour fidéliser ou renouveler leurs dirigeants, en particulier parmi celles les plus importantes.
Gestion des excédents
Il est désormais reconnu aux associations la capacité de dégager des excédents, lesquels sont désormais considérés par l’administration fiscale comme les « reflets d’une gestion saine et prudente »32), peu importe que ceux-ci soient réalisés à titre accidentel, habituel ou systématiquement recherchés33). En réalité, c’est donc bien l’affectation de ces excédents qui est déterminante et non l’intention qui anime leurs auteurs.
Dès lors, lorsque les excédents sont affectés à l’exécution des prestations non lucratives de l’association, celle-ci conserve son statut d’OSBL34). Il n’en va pas de même lorsque ceux-ci font l’objet d’une utilisation manifestement abusive (rémunérations excessives versées aux dirigeants ou dépenses somptuaires au bénéfice de membres) ou l’objet de placements systématiques.
Politique de rémunération
Le maintien du statut d’OSBL empêche toute mise en œuvre d’une politique de rémunération exagérée ou injustifiée. Cette règle s’applique non seulement aux salariés et dirigeants associatifs, mais également aux fournisseurs de ces groupements, peu importe la nature de la rémunération, qu’elle soit directe ou indirecte – par exemple via la filiale dédiée –, versée sous la forme de salaires, d’honoraires ou d’avantages en nature.
Concernant les salariés, le fait de prévoir un complément de rémunération déterminé en fonction d’un résultat physique (nombre de contrats conclus ou d’articles vendus), une modulation déterminée en fonction du chiffre d’affaires de l’organisme ou d’un solde comptable est de nature à affecter le caractère désintéressé de la gestion de l’organisme et constitue l’indice d’une démarche lucrative. En revanche, un intéressement lié à l’amélioration du service non lucratif rendu par l’association ne caractérise pas une gestion intéressée35).
Cogestion
L’intégration des salariés dans la gouvernance de l’association n’entraîne pas ipso facto une remise en question de son statut d’OSBL. En effet, les règles fiscales36) admettent la possibilité d’ouvrir les organes de gestion associative aux représentants des salariés dans la mesure où ces derniers n’occupent pas plus d’un quart des postes au conseil d’administration et ne figurent pas au nombre des membres du bureau.
Ainsi, on le voit, outre le principe d’interdiction de partage des excédents et d’appropriation privative de ses actifs37), les règles fiscales applicables aux OSBL font de l’association non seulement un acteur singulier de l’économie de marché38), mais aussi un opérateur socio-économique capable de répondre à bon nombre de revendications sociales du moment, telles que la démocratie participative ou la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales.
Colas AMBLARD, docteur en droit, avocat associé
En savoir plus :
Dossier : “Gouvernance : un je(u) collectif”, Juris associations 15 février 2020 n°613
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Références :
1. | ↑ | JA 2016, no 546, p. 24, étude C. Amblard. |
2. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 7 juin 2017, § 50 et s. |
3. | ↑ | C. Amblard, La Gouvernance de l’entreprise associative, coll. « Hors-série », Juris éditions – Dalloz, août 2019. |
4. | ↑ | CE 1er oct. 1999, n° 170289, Lebon. |
5. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 570 et s. |
6. | ↑ | L. no 2003-779 du 1er août 2003. |
7. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-BIC-RICI-20-30-10-10 du 7 août 2019, § 160 et s. ; v. égal. BOFiP-Impôts, BOI- IR-RICI-250-10-10 du 10 mai 2017, § 130 et s. |
8. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., art. 10 : en application du principe de lien automatique entre IS, TVA et CFE. |
9. | ↑ | L. du 1er juill. 1901, art. 1er ; BOFiP-Impôts, BOI- IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 630 et s. |
10. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-30 du 12 sept. 2012. |
11. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 720 à 780. |
12. | ↑ | C. civ., art. 1240. |
13. | ↑ | C. Amblard, étude 246 « Activités économiques et commerciales des associations », Lamy Associations, sept. 2019. 14. C. com., art. L. 442-10. |
14. | ↑ | C. com., art. L. 442-10. |
15. | ↑ | X. Roussinet, C. Amblard, atelier « Utilité sociale : l’avantage compétitif des entreprises associatives », FNAF 2019 ; v. en p. 37 de ce numéro. |
16. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 590. 17. |
17. | ↑ | Ibid., § 610. |
18. | ↑ | Ibid., § 650. |
19. | ↑ | JA 2018, n° 582, p. 35, étude C. Amblard. |
20. | ↑ | C. Amblard, « Le “boom” des recettes d’activité : quelles conséquences pour le secteur associatif ? », in V. Tchernonog, L. Prouteau, Le Paysage associatif français – Mesures et évolutions, 3e éd., Juris éditions – Dalloz, mai 2019, p. 297 et s. |
21. | ↑ | L. n° 2019-1479 du 28 déc. 2019, JO du 29, art. 54, réd. CgI, art. 206, 1 bis, et art. 261, 7, 1o, b). |
22. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-20-10 du 3 oct. 2018, § 120 à 540. |
23. | ↑ | Ibid., § 560 à 770. |
24. | ↑ | L. n° 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août, art. 74, réd. L. du 1er juill. 1901, art. 6. |
25. | ↑ | TFUE, art. 107 ; règl. UE n° 1407/2013 du 18 déc. 2013 ; CJCE 24 juill. 2003, aff. C-280/00 ; paquet « Almunia » : Commission européenne, comm. no 2012/C 8/02 du 11 janv. 2012, encadrement no 2012/C 8/03 du 11 janv. 2012, décis. n° 2012/21/UE du 20 déc. 2011. |
26. | ↑ | L. n° 2019-1479, préc., art. 54, réd. CGI, art. 206, 1 bis, art. 261, 7, 1°, b) ; CGI, art. 1447, II. |
27. | ↑ | CGI, art. 261, 7, 1°c). |
28. | ↑ | Instr. du 15 sept. 1998, BOI 4 H-5-98. |
29. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 100 ; décr. n° 2019-1387 du 18 déc. 2019, JO du 19 : soit 1 154,56 euros pour 2020. |
30. | ↑ | CGI, art. 261,7,1°, d); arr. du 2 déc. 2019, JO du 3, texte n° 16 : soit 10 284 euros par mois pour 2020. |
31. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 180 à 220. |
32. | ↑ | Ibid., § 630 ; v. égal. dossier « Excédents et non- lucrativité – Le bénéfice du doute », JA 2018, n°v 580, p. 17. |
33. | ↑ | CJCE 21 mars 2002, aff. C-174/00, RJF 6/02, n° 736 ; CE 21 nov. 2007, n° 291375, RJF 2/08, n° 132. |
34. | ↑ | CE 1er mars 2000, n° 197584, RJF 4/00, n° 465. 35. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 480 et 490. |
35. | ↑ | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 480 et 490. |
36. | ↑ | Ibid., § 430 et s. |
37. | ↑ | Ibid., § 500. |
38. | ↑ | C. Amblard, La Gouvernance de l’entreprise associative, préc. |