Souvent approchés comme objets d’étude[1], les modèles socio-économiques associatifs procèdent avant tout de la pratique professionnelle dans une perspective dynamique et immédiatement opérationnelle. Ils peuvent donc difficilement être catégorisés tant ils sont protéiformes et sujets à évolution durant tout le parcours de vie des organismes concernés. Pour les associations, la loi 1901[2], le droit des contrats et le régime fiscal des OSBL[3], offrent de multiples possibilités d’évolution stratégique, tandis que la promulgation plus récente de la loi du 31 juillet 2014[4] relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) permet d’appréhender ces organismes en tant que modèle d’entreprise d’un genre nouveau[5].
ASSOCIATION : DES MODÈLES SOCIO-ÉCONOMIQUES D’ENTREPRISE ?
1. Devenir une entreprise associative n’est pas une fatalité.
Nous ne le répéterons jamais assez : les associations ne sont pas toutes assimilables à des entreprises. Et c’est heureux ! Toutefois, selon la jurisprudence constante, une association se confond juridiquement avec la notion d’entreprise quand elle s’immisce dans la circulation des richesses, notamment lorsqu’elle réalise une ou plusieurs activités économiques[6] (vente de biens ou de services à titre habituel) et/ou lorsqu’elle emploie des salariés[7], ce qui, en définitive, ne concerne que 365 000 entités associatives sur les 1,5 million recensées en France[8]. Peu importe leur statut juridique ou encore le fait qu’elles poursuivent un but non lucratif[9], cette approche du concept d’association en qualité d’entreprise est depuis longtemps confirmée par le droit tant interne que communautaire[10].
Depuis la loi du 31 juillet 2014, les associations entrent automatiquement dans le périmètre des entreprises de l’ESS si elles remplissent trois critères principaux :
- leur raison d’agir réside principalement dans la mise en œuvre d’activités de production, de transformation, de distribution, d’échange et de consommation de biens et de services ;
- le but poursuivi est autre que le seul partage de bénéfices ;
- leur gouvernance respecte le principe de démocratie organisé par les statuts, ce qui suppose la participation des membres, des salariés et d’un ensemble de parties prenantes.
2. Modèles socio-économiques des associations hors champ entrepreneurial.
La plupart des associations ne figurent donc pas dans la définition juridique de l’entreprise. Pour autant, les modèles socio-économiques de ces associations se définissent quasi exclusivement à partir du statut fiscal qui leur est spécifiquement applicable[11] : la plupart d’entre elles – souvent parmi les plus « petites » associations – disposent de ressources essentiellement basées sur les cotisations de leurs membres bénévoles, voire, éventuellement, sur le bénéfice de subventions publiques[12].
Pour ces structures, leur ressource principale est non monétaire et repose prioritairement sur des apports en industrie (bénévolat) réalisés par leurs sociétaires. Ce premier modèle socio-économique associatif présente donc une caractéristique fondamentale : ces organisations sont automatiquement non assujetties aux impôts commerciaux (impôt sur les sociétés, TVA et contribution économique territoriale). En effet, doublé du fait que leur objet est non lucratif et que leur gestion est le plus généralement désintéressée[13], c’est précisément grâce à ce régime fiscal spécifiquement applicable aux OSBL que les associations, mais aussi les fondations et fonds de dotation, vont pouvoir exercer leurs activités hors champ concurrentiel (santé, culture, social, sport, loisirs, citoyenneté, etc.).
Ce régime leur permettra, en outre, de bénéficier du régime du mécénat[14] si leurs activités principales sont d’intérêt général[15].
ENTREPRISE ASSOCIATIVE : LA FISCALITÉ COMME ÉLÉMENT DIFFÉRENCIANT
1.Fiscalité associative : un régime fiscal d’exception – et non de faveur.
Toute association, dès lors qu’elle exerce une ou plusieurs activités économiques habituelles, à titre accessoire[16] ou prépondérant, doit être appréhendée comme une entreprise au sens juridique du terme[17]. En effet, « aucune association ou coopérative d’entreprise ou d’administration ne peut, de façon habituelle, offrir des produits à la vente, les vendre ou fournir des services si ces activités ne sont pas prévues par ses statuts », en application de l’article L. 442-7 du code de commerce. Pour autant, il est parfaitement possible de conserver le statut « de droit commun » en qualité d’OSBL globalement non assujetti.
Par ailleurs, à ce stade, l’autre facteur différenciant – et pas des moindres – avec une société capitalistique traditionnelle, voire avec une entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS)[18] ou à mission[19], réside dans l’interdiction de partage des bénéfices et d’appropriation des moyens de production (et autres actifs) par les membres, que ce soit en cours ou en fin de vie de l’OSBL[20]. Mais, là encore, une bonne maîtrise de la technique fiscale permet d’aller plus loin dans cette approche distinctive et la recherche d’optimisation des modèles socio-économiques associatifs.
2.Modèles socio-économiques des associations « socialement intéressées ».
Certaines associations, outre les ressources précédemment citées, s’engagent dans la sphère économique. Or, à ce stade, tout l’enjeu consiste – par le recours à la technique fiscale – à déterminer si les activités qu’elles exercent dans cette sphère sont lucratives/commerciales[21] ou, au contraire, d’utilité sociale[22]. Cette étape est fondamentale dans la construction et l’optimisation des modèles socio-économiques associatifs, tant pour l’association elle-même que pour la collectivité environnante (collectivités locales, élus, citoyens). Pour l’association, si son/ses activité(s) économique(s) se dédouble(nt) d’une « plus-value sociale ajoutée » – selon les deux premiers critères de la règle des « 4P » : produit ou public[23] –, elle pourra développer son chiffre d’affaires sans aucune limite, tout en conservant son statut d’organisme non assujetti aux impôts commerciaux et en cumulant le bénéfice de la franchise commerciale pour ses activités lucratives accessoires – soit 78.596 euros pour 2024[24]. Quant à la collectivité concernée, au vu des activités proposées par cet organisme « socialement intéressé » sur son territoire, elle verra naître une entreprise dont l’activité principale consiste soit à répondre à des besoins insuffisamment couverts par le marché concurrentiel[25] ou qui le sont mais de façon peu satisfaisante[26], voire totalement ignorés par le secteur concurrentiel car jugés non rentables, soit à réaliser des « actes payants […] principalement au profit de personnes justifiant l’octroi d’avantages particuliers au vu de leur situation économique et sociale » – ce qui ne préjuge en rien du caractère défavorisé des populations bénéficiaires[27].
LA FISCALITÉ : OUTIL DE DIVERSIFICATION DES MODÈLES SOCIO-ÉCONOMIQUES ASSOCIATIFS
Une association peut exercer une activité résolument lucrative/ commerciale, non pas comme une finalité en soi, mais comme un moyen au service d’un objectif qui, lui, demeure globalement non lucratif et d’utilité sociale, voire d’intérêt général[28].
Dans cette hypothèse, deux situations peuvent se présenter : soit l’association demeure globalement non assujettie aux impôts commerciaux car cette « activité-moyen » reste accessoire et son chiffre d’affaires ne dépasse pas le seuil de franchise commerciale visé précédemment[29], soit cette limite est franchie, mais l’« activité-moyen » demeure non prépondérante – l’association devra alors créer un secteur comptable distinct[30].
Lorsque l’activité-moyen deviendra prépondérante, l’association n’aura d’autre solution que d’envisager la création d’une filiale[31] assujettie à l’impôt sur les sociétés[32] et à la TVA s’il n’existe pas de régime d’exonération spécifique[33].
Ainsi, la maîtrise de l’« outil fiscal » est déterminante dans la construction des modèles socio-économiques des associations en ce qu’elle leur offre la possibilité de diversifier leurs ressources lucratives/non lucratives tout en préservant leur qualité d’organisme globalement non lucratif. Or la conservation de ce statut fiscal est éminemment stratégique dans la mesure où il va préserver la capacité de ces structures en matière de subventions publiques[34], voire de mécénat[35]. Ce constat est d’autant plus pertinent que l’association, en qualité d’entreprise « socialement intéressée », doit être capable de mobiliser toujours plus de moyens humains et matériels pour financer ses activités d’utilité sociale ou/et d’intérêt général, mais aussi pour développer ses facultés de transformation sociétale et (enfin) sortir du rôle de réparation (du système capitaliste) qu’on lui assigne quasiment depuis le début de son apparition en tant que personne juridique.
OPTIMISATION DES MODÈLES SOCIO-ÉCONOMIQUES ASSOCIATIFS : LA FISCALITÉ COMME LEVIER
Développer toujours plus de moyens mais éviter de basculer dans le tout lucratif, qui ferait perdre aux associations une partie de leurs spécificités et avantages, s’engager résolument dans une démarche de transformation parfaitement assumée sur le plan politique et maîtrisée sur le plan technique, tout en préservant la place des bénévoles dans la structure : tels sont les véritables enjeux en matière d’optimisation des modèles socio-économiques associatifs. Et, de ce point de vue, la fiscalité joue un rôle fondamental car elle offre aux entreprises associatives des perspectives importantes en termes de diversité de ressources monétaires et non monétaires, et leur permet donc de trouver les moyens nécessaires pour remporter le combat politique visant à démocratiser l’entreprise et « faire de l’ESS la norme de l’économie de demain »[36].
Si leur « cœur de métier » demeure non lucratif, ces entreprises d’un genre nouveau[37] pourront tout à la fois disposer de cotisations, de subventions, de revenus d’activité et de patrimoine, mais également de libéralités (dons et legs) sous forme de mécénat. Si leurs activités économiques sont d’utilité sociale, elles ne connaîtront aucune limite de chiffre d’affaires réalisé et disposeront même de la faculté de cumuler le régime de franchise commerciale dans la limite décrite précédemment. Elles pourront, en outre, bénéficier de l’exonération spécifique liée à l’organisation de six manifestations par an[38] sans qu’aucun impôt ne soit prélevé à cette occasion. Certes, leurs revenus du patrimoine, par exemple issus de ressources tirées de l’exploitation d’immeubles de rapport lorsque l’association est d’intérêt général et déclarée depuis au moins trois ans[39], seront taxés à l’impôt sur les sociétés au taux réduit[40]. Mais là encore, le droit fiscal offre la possibilité d’optimiser les modèles socio-économiques associatifs : il suffira pour cela de « confier » ces actifs générateurs de revenus (location, dividende, droit d’auteur, etc.) à un fonds de dotation[41] que l’association aura pris soin de créer pour financer des œuvres ou ses activités d’intérêt général et qui, précisément, pourront être celles qu’elle réalise en propre ou qu’elle souhaiterait développer par l’intermédiaire de cet « outil » juridique. Il s’agira alors de créer un fonds de dotation dit « mixte », dont tout ou partie de la dotation sera rendue non consomptible[42]. Dans ces conditions, l’association sera non seulement en capacité de diversifier ses ressources publiques et privées et son fonds de dotation – dont elle aura la complète maîtrise sur le plan de sa gouvernance –, mais sera également (indirectement) placée hors champ d’application de l’impôt sur les sociétés au taux réduit sur ses revenus du patrimoine[43].
C’est par conséquent et avant tout une vision dynamique qu’il convient de retenir des modèles socio-économiques. Ceux-ci ne peuvent donc être uniquement présentés comme des modèles distincts et figés, mais, au contraire, comme un processus d’optimisation de la capacité des associations à intervenir dans un cadre distinct du champ entrepreneurial capitaliste traditionnel[44]. Toutes les associations ne deviennent pas des entreprises associatives, mais chacune d’entre elles relève d’un régime fiscal susceptible de servir de levier pour leur propre développement socio-économique.
La capacité transformatrice du monde associatif commande donc de préserver le cadre juridique et fiscal actuel des OSBL et de disposer d’une parfaite maîtrise des nombreuses possibilités d’évolution des différents modèles socio-économiques qui s’offrent à eux.
Colas Amblard, Docteur en droit, Avocat associé
Intervention de Colas Amblard, au Forum National de l’ESS et de l’Innovation sociale 2024 : « Comment faire évoluer le modèle socio-économique de son association face aux défis économiques ? » : https://youtu.be/ygF8iF8P2uM
En savoir plus :
↑1 | V. not. V. Tchernonog, L. Prouteau, Le Paysage associatif français – Mesures et évolutions, Lefebvre-Dalloz, coll. « Hors-série », 4e éd., août 2023, chap. 9 ; Observatoire national de l’ESS, Atlas commenté de l’économie sociale et solidaire, Lefebvre-Dalloz, coll. « Hors-série », 5e éd., nov. 2023. |
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↑2 | L. du 1er juill. 1901, JO du 2 ; décr. du 16 août 1901, JO du 17. |
↑3 | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-10 du 21 avr. 2021. |
↑4 | L. n° 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août, art. 1er. |
↑5 | C. Amblard, Administration et fonctionnement – La Gouvernance des entreprises associatives, Éditions Juris – Dalloz, coll. « Hors-série », août 2019. |
↑6 | Com. 28 févr. 2006, n° 05-12.138 ; Com. 8 févr. 2017, n° 15-15.005. |
↑7 | Civ. 1re, 12 mars 2002, n° 99-17.209 ; Paris, 9 avr. 2002, BAF 8/02, inf. 230. |
↑8 | V. Tchernonog, L. Prouteau, préc. |
↑9 | Civ. 2e, 26 sept. 2013, n° 12-22.743. |
↑10 | CJCE 18 juin 1998, aff. C-35/96. |
↑11 | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20 du 7 juin 2017. |
↑12 | L. n° 2014-856, préc., art. 59. |
↑13 | Sur la notion de gestion bénévole, v. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10- 50-10-20, préc., § 50 à 510. |
↑14 | L. n° 2003-709 du 1er août 2003, JO du 2. |
↑15 | CGI, art. 200 et 238 bis. |
↑16 | C. Amblard, « Associations et activités économiques : contribution à la théorie du tiers-secteur », thèse de droit, Ver- sailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 1998. |
↑17 | JA 2023, n° 681, p. 13, tribune C. Amblard. |
↑18 | L. n° 2014-856, préc., art. 11. |
↑19 | C. civ., art. 1833, modif. par L. n° 2019- 486 du 22 mai 2019, JO du 23, art. 169. |
↑20 | C. Amblard, « But non lucratif : un concept incontournable encore mal appréhendé par les associations », institut-isbl.fr, 26 juill. 2020. |
↑21 | Com. 25 janv. 2017, n° 15-13.013. L’activité économique est une notion plus large que l’activité lucrative : si toute activité lucrative est économique, l’inverse n’est pas vrai. |
↑22 | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20, préc., § 570 à 610. |
↑23 | Ibid., § 590 à 610 |
↑24 | CGI, art. 261, 7, 1o, b), al. 2 |
↑25 | CE 1er oct. 1999, n° 170289. |
↑26 | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20, préc., § 590. |
↑27 | Ibid., § 610 et 620 ; v. égal.TA Paris, 6 nov. 2018, n° 1607686. |
↑28 | C. Amblard, Administration et fonctionnement – La Gouvernance des entreprises associatives, préc. |
↑29 | CGI, art. 261, 7, 1o, b), al. 2. |
↑30 | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50- 20-10 du 3 oct. 2018, § 120 à 540. |
↑31 | Ibid., n° 560 à 770. |
↑32 | CGI, art. 206, 1. |
↑33 | CGI, art. 261. |
↑34 | Circ. n° 5811-SG du 29 sept. 2015. |
↑35 | CGI, art. 238 bis. |
↑36 | J. Saddier, Pour une économie de la réconciliation – Faire de l’ESS la norme de l’économie de demain, Les Petits Matins, coll. « Mondes en transitions », 2022. |
↑37 | JA 2023, n° 681, p. 13, préc |
↑38 | CGI, art. 261, 7, 1o, a) ; BOFiP- Impôts, BOI-TVA-CHAMP-30-10-30-10 du 26 avr. 2023. |
↑39 | L. 1er juill. 1901, art. 6, modif. par L. n° 2014-856, préc., art. 74. |
↑40 | CGI, art. 206, 5. |
↑41 | C. Amblard, Fonds de dotation – Un outil au service de l’intérêt général, Lefebvre-Dalloz, coll. « Hors-Série », à paraître en mars 2024 ; JA 2023, no 678, p. 32, étude C. Amblard. |
↑42 | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-40 du 25 mars 2013, § 570. |
↑43 | Ibid., § 570. |
↑44 | JA 2015, n° 525, p. 37, étude C. Amblard. |