Durement impactées par la situation de crise sanitaire du Covid-19, les associations ont besoin de se relancer. 40 % d’entre elles indiquent en effet prévoir à six mois une perte de revenus d’activité significative et des difficultés de trésorerie liées à des reports d’activité ou de financement1) . Il est donc urgent de réagir !
Des solutions efficaces existent pour réagir face à la crise. Cependant, elles nécessitent que les institutions sans but lucratif (ISBL) – associations, fondations et fonds de dotation2) – renforcent considérablement leurs capacités en matière d’hybridation des ressources et d’optimisation fiscale, étant entendu par ailleurs que l’une et l’autre de ces techniques de gestion sont parfaitement indissociables. Certes, un certain nombre d’associations ont désormais bien compris qu’elles devaient s’orienter vers de nouveaux modèles économiques3) et de gouvernance4) plus pérennes et toujours plus transparents, mais aussi que cette tendance récente constitue un véritable défi5) pour toute une génération de nouveaux dirigeants bénévoles.
Réaffirmer son identité et ses objectifs
En tant qu’organisation économique et humaine, et comme toute autre entreprise, l’association a besoin de comprendre qui elle est – son identité – pour savoir où elle va – ses objectifs. Sans cette étape préalable, point de salut, le modèle économique envisagé pouvant alors rapidement se révéler bancal, notamment en raison d’un mauvais positionnement.
Comprendre qui l’on est…
Présentes dans un très grand nombre de secteurs de l’activité humaine, les associations ont cela de commun qu’elles ne peuvent pas distribuer les bénéfices qu’elles réalisent à leurs membres6) . L’interdiction légale est absolue et ne souffre aucune exception7) . Cependant, ces mêmes ISBL disposent d’une pleine et entière capacité en matière économique, voire commerciale8) . Par conséquent, l’adjonction de ces deux caractéristiques fait d’elles des opérateurs socio-économiques très différents des sociétés traditionnelles de type capitalistique, fussent-elles à impact social9) :
- d’une part, parce que ces ISBL fondent intrinsèquement leurs démarches autour du principe de propriété collective de l’entreprise et de ses résultats, lesquels devront obligatoirement être réinvestis dans le projet commun – la cause associative –, notamment en vue d’améliorer les services rendus aux personnes et/ou les conditions de travail et rémunérations de leurs salariés ;
- d’autre part, parce que si ces mêmes ISBL envisagent de conserver leur statut fiscal d’organisme à but lucratif10) tout en cher- chant à diversifier leurs ressources, elles devront nécessairement éviter de verser vers le « tout lucratif ». À ce stade, dès lors, il importe de s’interroger : de quels moyens dispose-t-on ? Que représentent-ils dans le budget associatif ? Dispose-t-on de moyens suffisants et de la connaissance nécessaire pour le faire évoluer ? Et, enfin, jusqu’où est-on prêt à aller dans les moyens à mettre en œuvre pour parvenir au but que l’on s’est fixé ?
… Pour savoir où l’on va
Si l’association doit le plus souvent préserver la nature globalement non lucrative de son objet statutaire – de son but –, rien ne l’empêche a contrario de développer des « activités-moyens » sous forme de prestations de services ou de ventes de biens11) pour contribuer au financement de ce même objet statutaire. Autrement dit, les associations qui en auront l’opportunité pourront aller chercher sur le marché concurrentiel lucratif la part du financement qui leur est nécessaire, soit sous forme d’activités lucratives accessoires, soit par la création d’une filiale sous forme de société commerciale – entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), etc. – ou de coopérative – société coopérative de production (SCOP), coopérative foncière, société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Aussi, la gestion des activités lucratives au sein d’une ISBL doit être parfaitement maîtrisée afin d’éviter tout risque de globalisation fiscale qui limiterait la mise en place d’une véritable politique d’hybridation des ressources12) . En effet, toute ISBL dont le statut fiscal est globalement lucratif ne dispose plus, en théorie, de la possibilité de développer des ressources sous forme de mécénat ou de subvention13) .
Adopter une politique d’hybridation des ressources
Le financement des ISBL repose désormais sur leur capacité à mixer différentes formes de ressources possibles, qu’elles soient monétaires ou non. Nécessitant une expertise précise et rigoureuse en fonction de la stratégie définie par chaque organisme14) , la mise en œuvre d’une politique d’hybridation des ressources est encore mal appréhendée par les associations et leurs dirigeants.
Ressources monétaires
- Ressources monétaires publiques. Les ressources associatives sont pour partie issues de subventions dès lors qu’une part importante de leurs activités relève de l’intérêt général15) et que l’ISBL est à l’initiative du projet16) . Par ailleurs, en qualité de prestataire ou de délégataire de la puissance publique – État, collectivités territoriales –, l’association peut percevoir des ressources monétaires publiques, soit sous forme de rémunération – marchés publics –, soit sous forme de redevance – délégations de service public.
- Ressources monétaires privées. L’autre caractéristique des modèles économiques associatifs réside dans la capacité de ces ISBL à mixer différentes formes de ressources monétaires privées, telles que cotisations, libéralités/mécénat, revenus du patrimoine, prestations lucratives d’origine privée, produits des manifestations exceptionnelles ou encore apports.
Ressources non monétaires
Les ISBL peuvent également disposer de ressources non monétaires, c’est-à-dire de la capacité à mobiliser des bénévoles, qu’ils soient membres ou non. Désormais valorisable dans le nouveau plan comptable associatif17) , la participation des 22 millions de bénévoles18) – soit quasiment un Français sur deux – représente plus de 3 millions d’heures de participation, ce qui équivaut à une fourchette comprise entre 1,32 million et 1,46 million d’équivalents temps plein (ETP)19) . Cette capacité de mobilisation constitue pour ces nouveaux modes d’entreprendre un véritable avantage compétitif par rapport aux secteurs concurrentiels traditionnels et permet aux ISBL d’étendre leur capacité d’intervention dans des secteurs pour lesquels la demande n’est pas toujours solvable.
Si l’optimisation de la gestion de l’ISBL dépend de sa capacité à augmenter ses produits – ses ressources –, elle passe tout aussi assurément par une maîtrise de ses charges, notamment fiscales.
Optimiser son régime fiscal
Pour maîtriser sa charge fiscale, l’association dont la volonté consiste à préserver son statut d’ISBL devra soit augmenter son chiffre d’affaires à partir d’activités économiques d’utilité sociale, soit respecter un certain nombre de contraintes fiscales pour bénéficier de la franchise commerciale et/ou d’exonérations spécifiques.
Utilité sociale / innovation sociale
En application de la doctrine fiscale20) , « le fait qu’un organisme à but non lucratif intervienne dans un domaine d’activité où coexistent des entreprises du secteur lucratif ne conduit pas ipso facto à le soumettre aux impôts commerciaux ». En effet, lorsqu’une association exerce une activité de vente de prestations de services ou de biens, celle-ci demeure non imposable21) sans limite de chiffre d’affaires dès lors que l’offre proposée respecte les critères fiscaux d’utilité sociale – produit et/ou public22) . Cette notion en voie de consolidation sur le plan juridique23) présente des caractéristiques proches de celles retenues pour l’innovation sociale24) dès lors que toutes deux se fondent sur la satisfaction de « besoins sociaux non ou mal satisfaits, que ce soit dans les conditions actuelles du marché ou dans le cadre des politiques publiques ».
Franchise commerciale
Toute ISBL non assujettie aux impôts commerciaux peut développer des activités commerciales accessoires dans la limite de 72 000 euros de chiffre d’affaires par année civile. Le bénéfice de cette franchise commerciale25) est automatique dès lors que la gestion de l’ISBL est désintéressée26) et que ses activités non lucratives sont significativement prépondérantes au sein de son projet global. Pour autant, cette dernière, qui bénéficie de la franchise commerciale, reste soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) sur ses revenus du patrimoine27) : l’IS aux taux réduits sur les revenus patrimoniaux – fonciers, agricoles et mobiliers28) – et l’IS au taux de droit commun au titre des résultats de ses activités financières lucratives et de ses participations dans des filiales commerciales29) .
Exonérations spécifiques
Des dispositions particulières du code général des impôts (CGI) exonèrent de l’IS les bénéfices provenant de certaines opérations à caractère lucratif30) lorsque ces opérations sont réalisées, dans des conditions déterminées, par des organismes sans but lucratif31) . Sont ainsi exonérés les organismes sans but lucratif mentionnés à l’article 261, 7, 1o, a) et b) du CGI pour les opérations à raison desquelles ils sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)32) – « services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres », « opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique » – ainsi qu’à l’article 261, 7, 1o, c) du CGI – « manifestations de bienfaisance ou de soutien »33) .
En conclusion, les associations, et plus généralement les ISBL, doivent dans un premier temps profiter de la crise sanitaire du Covid-19 pour réinterroger leur identité, leurs objectifs ainsi que les moyens qu’elles souhaitent mettre en œuvre pour y parvenir. Dans un second temps, elles doivent, pour se relancer, faire valoir leurs spécificités en qualité d’acteurs de l’ESS – leur utilité sociale – et profiter des opportunités qui s’offrent à elles pour optimiser leur situation fiscale.
Colas AMBLARD Docteur en droit – Avocat associé
En savoir plus :
Juris Associations 625 – 1er octobre 2020
Notes :
↑ 1. | Le Mouvement associatif, Recherches & Solidarités, RNMA, ministère de l’Éducation nationale, « #Covid-19 : quels impacts sur votre association ? », avr. 2020, JA 2020, n° 618, p. 6, obs. E. Benazeth. |
↑ 2. | C. Amblard, Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, coll. « Lamy Axe Droit », Wolter Kluwers, déc. 2015. |
↑ 3. | JA 2015, no 525, p. 37, étude C. Amblard. |
↑ 4. | C. Amblard, La Gouvernance des entreprises associatives, 1re éd., Juris éditions – Dalloz, coll. « Hors-Série », août 2019. |
↑ 5. | J. Tronchon, « Moderniser la gouvernance des acteurs de l’ESS : l’exemple des SIAE », Institut-isbl.fr, 20 avr. 2020. |
↑ 6. | L. du 1er juill. 1901, art. 1er. |
↑ 7. | Sauf les associations dont le siège social est situé en Alsace-Moselle : C. civ. loc., art. 45. |
↑ 8. | C. Amblard, La Gouvernance des entreprises associatives, préc., nos 35 et s., p. 29. |
↑ 9. | M. Juan, J.-L. Laville, J. Subirats, Du social business à l’économie solidaire – Critique de l’innovation sociale, Érès, coll. « Sociologie économique », 2020. |
↑ 10. | 10. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20 du 7 juin 2017. |
↑ 11. | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-20 du 12 sept. 2012. |
↑ 12. | v. infra. |
↑ 13. | Bastia, 20 juin 2012, n°10/00793 ; TFUE, art. 107 : une subvention ne doit pas, en principe, fausser le libre jeu de la concurrence. |
↑ 14. | JA 2016, n° 546, p. 24, étude C. Amblard in dossier « Rapports et réglementation – Travaux d’intérêt général ». |
↑ 15. | L. n° 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août, art. 59. |
↑ 16. | L. n° 2008-776 du 4 août 2008, art. 140, III, al. 3 ; C. comptes, 14 sept. 2015, n° 72674, JA 2016, n° 536, p. 10, obs. S. Damarey. |
↑ 17. | Règl. ANC n° 2018-06 du 5 déc. 2018 ; dossier « Réforme comptable – Le compte est bon ! », JA 2019, n° 602, p. 16. |
↑ 18. | + 1,2 % de croissance moyenne par an entre 2013 et 2016 (Insee, enquêtes « Statistiques sur les ressources et conditions de vie », 2013-2016). |
↑ 19. | L. Prouteau, CRA, CSA, « Le bénévolat en France en 2017 – État des lieux et tendances », 2018. |
↑ 20. | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20, préc., § 570. |
↑ 21. | Ibid., § 10 : IS, TvA, CET. |
↑ 22. | Ibid., § 590 à 620. |
↑ 23. | JA 2020, n° 613, p. 37, étude C. Amblard. |
↑ 24. | L. n° 2014-856, préc., art. 15. |
↑ 25. | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-20-20 du 11 mars 2020. |
↑ 26. | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20, préc., § 50 à 510. |
↑ 27. | CGI, art. 206, 5 et 219 bis. |
↑ 28. | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-20-20, préc., § 180 et s. |
↑ 29. | CGI, art. 206, 1 bis, al. 3. |
↑ 30. | CGI, art. 206, 1. |
↑ 31. | BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50du 12 sept. 2012. |
↑ 32. | CGI, art. 207, 1, 5o. |
↑ 33. | L’exonération prévue au profit des recettes de six manifestations de bienfaisance et de soutien organisées dans l’année ne comporte aucune limite de chiffre d’affaires, porte sur l’ensemble des recettes perçues au titre des différentes opérations effectuées par l’organisateur, quelle qu’en soit la nature (billetterie, exploitation d’un buffet, d’un bar, location de stands, vente de programmes ou de produits dérivés, opérations de publicité, etc.) et est cumulable avec la franchise commerciale de 72 000 euros. |