Les événements récents en matière de terrorisme poussent les pouvoirs publics à une vigilance accrue sur les activités des associations et fonds de dotation. Le système juridique français actuel prévoit la possibilité de prononcer la dissolution de certaines associations relevant de la loi 1901. Un projet de loi confortant les principes républicains[1] devrait cependant aller plus loin.
Le Gouvernement a annoncé le 5 octobre un projet de « loi visant à renforcer la laïcité et conforter les principes républicains »[2], qui sera présenté dans sa nouvelle version en conseil des ministres le 9 décembre. Au-delà de la surveillance des activités réellement exercées par les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 et les associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905, c’est au financement de ces groupements que le Gouvernement entend désormais s’attaquer.
Régime actuel de dissolution juridictionnelle
Le régime de droit actuel permet aux juridictions judiciaires et administratives de procéder à la dissolution des associations.
Dissolution judiciaire
En application des articles 7 et 3 de la loi du 1er juillet 1901, toute association ayant un objet illicite ou poursuivant en fait une activité illicite est nulle et sa dissolution doit être prononcée par les juges. Ces derniers peuvent, en outre, ordonner la fermeture provisoire des locaux et l’interdiction de toute réunion des membres de l’association. Le plus souvent, si l’objet apparaît totalement licite, c’est l’activité réellement exercée par l’association qui est illicite. Dans une telle situation, les tribunaux considèrent que l’objet véritable du groupement est illicite et l’association encourt un risque de dissolution, notamment lorsque l’activité réelle est contraire aux bonnes mœurs ou/et trouble l’ordre public[3]. En cas de pluralité d’activités – les unes licites, les autres illicites –, le risque de nullité est encouru lorsque les activités illicites sont prépondérantes[4] ou inséparables des autres activités exercées[5]. Cette demande de dissolution judiciaire peut être formulée par toute personne y ayant un intérêt direct et personnel ou par le ministère public[6] auprès du tribunal judiciaire compétent dont dépend le siège de l’association[7] concernée. Si la dissolution et la nullité qu’elle entraîne n’ont pas d’effet rétroactif[8], le ministère public n’est pas tenu d’attendre l’issue des poursuites pénales éventuellement engagées contre les membres[9]. Lorsqu’elle a été créée pour commettre un crime ou un délit ou si elle s’est détournée de son objet statutaire initial pour réaliser ces infractions, l’association encourt la dissolution si elle est reconnue coupable d’une infraction expressément sanctionnée par cette peine[10], à condition toutefois dans ce dernier cas que la peine encourue par une personne physique soit d’au moins trois ans d’emprisonnement – ce qui est le cas, par exemple, pour des actes d’apologie du terrorisme et de provocation directe au terrorisme[11]. Dans ces conditions, l’assignation peut être délivrée aux personnes chargées de l’administration de l’association et toute personne, membre ou non du groupement, est en droit d’intervenir dans l’instance[12].
Dissolution administrative
Concernant la procédure de dissolution administrative, seuls les cas prévus par la loi – et uniquement dans ces hypothèses[13] – peuvent aboutir à la fermeture d’associations. Tel est le cas notamment des groupes de combat, milices privées et associations se livrant à des actes terroristes[14]. Il convient de souligner par ailleurs que, dans certaines hypothèses spécifiques, seule une loi peut décider de la dissolution immédiate. Tel est le cas, à titre d’exemple, de l’association Action Logement Groupe[15].
En outre, existe dans l’arsenal juridique français le délit de maintien ou de reconstitution, ouverte ou déguisée, d’une association dissoute par décision judiciaire ou administrative[16], ou dont la dissolution a été prononcée à titre de sanction pénale[17].
Enfin, pour parer à la situation actuelle, un dispositif spécial[18] a d’ores et déjà organisé la possibilité de fermeture temporaire d’un lieu de culte pour une durée ne pouvant toutefois pas excéder six mois. Jusqu’au 31 décembre 2020, les préfets peuvent prendre ce type de décision lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
- ce type de mesure doit avoir pour but exclusif de prévenir la commission d’actes de terrorisme ;
- les propos tenus en ces lieux, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s’y déroulent soit incitent à la violence, à la haine ou à la discrimination, soient poussent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes.
Les mesures administratives de fermeture prises dans un tel contexte doivent toutefois être justifiées et proportionnées, notamment dans leur durée, aux raisons les ayant motivées. Un recours en référé est toujours possible – qui a pour effet de les suspendre jusqu’au délibéré du juge – et doit obligatoirement intervenir dans les 48 heures[19].
Projet de loi confortant les principes républicains
Le projet de loi contre les séparatismes[20], ultérieurement rebaptisé « projet de loi confortant les principes républicains »[21], qui sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre, vise clairement à lutter contre ceux qui dévoient la religion pour remettre en cause les valeurs de la République[22]. Il contient un certain nombre de mesures importantes concernant le secteur des fonds de dotation et des associations, notamment pour celles œuvrant dans les milieux cultuels.
Vers de nouveaux motifs de dissolution associative
Dans son discours du 2 octobre dernier, Emmanuel Macron[23] a rappelé que les « associations sont un pilier de notre pacte républicain », mais aussi qu’elles doivent « unir la nation et pas la fracturer ». Or, pour ce dernier, il est « assez logique que celles et ceux qui portent ce projet de séparatisme islamiste aient investi le champ associatif », identifié comme « l’espace le plus efficace pour diffuser leurs idées. » Face à un tel constat, il convient de reconnaître que les motifs de dissolution des associations en conseil des ministres sont « très limités » en ce qu’ils ne visent actuellement que les faits de terrorisme, de racisme et d’antisémitisme. Dans ces conditions, ce nouvel arsenal juridique devrait permettre d’étendre les cas de dissolution associative à d’autres motifs, comme aux « faits d’atteinte à la dignité de la personne » – égalité femmes-hommes – ou de « pressions psychologiques ou physiques » et, d’une manière générale, à toutes les atteintes apportées à l’ordre public et aux valeurs de la République, parmi lesquelles figure en bonne place le principe de laïcité. En cas d’urgence, la suspension des activités des associations pourra être prononcée, à titre conservatoire et pour une durée maximale de trois mois, par le ministre de l’Intérieur.
Renforcement du contrôle
Toute association sollicitant une subvention, un prêt de matériel ou d’un local à titre gratuit auprès de l’État ou d’une collectivité territoriale devra désormais « s’engager, par un contrat d’engagement républicain (défini par décret en Conseil d’État)[24], à respecter des principes et valeurs de la République, en particulier le respect de la dignité de la personne humaine, le principe d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, le principe de fraternité et le rejet de la haine ainsi que la sauvegarde de l’ordre public ». Cette signature conditionnera le versement des aides publiques dès le premier euro, qui pourront également faire l’objet d’un reversement en cas de non-respect ultérieur de ces principes. Les associations inscrites dans un cadre de commande publique ou de délégation de service public doivent respecter, ou faire respecter par leurs salariés ou leurs membres, les principes de laïcité et de neutralité du service public. Par ailleurs, les organismes associatifs ou leurs membres qui soit sont à l’origine de « violences », soit « ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement », soit « incitent, facilitent ou provoquent à la discrimination ou à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes […] », soit même « propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence », voire « incitent à porter atteinte à la dignité de la personne morale » devront restituer les financements publics perçus.
Les fonds de dotation doivent quant à eux désormais transmettre à l’autorité administrative leur rapport d’activité, leurs comptes annuels – outre leur publication au Journal officiel – ou encore, s’il existe, le rapport du commissaire aux comptes, dans le délai de six mois à compter de la clôture de l’exercice sous peine de suspension, voire de dissolution. Ces mêmes peines sont applicables en cas de « dysfonctionnement affectant la réalisation de l’objet du fonds de dotation » ou lorsque celui-ci exerce « une activité incompatible avec une mission d’intérêt général. »
Vers la fin des associations « loi 1901 » à objet cultuel ?
Comme évoqué précédemment, le constat a été fait que des personnes portant un projet de séparatisme religieux ont largement investi le champ associatif – culturel, sportif, éducatif – parce qu’elles l’ont identifié comme la forme, ou en tout cas l’espace le plus efficace pour diffuser leurs idées. Dès lors, un certain nombre d’associations proposent des activités sportives, culturelles, artistiques, linguistiques ou autres qui ont pour raison d’être l’accompagnement des plus précaires ou l’aide alimentaire, mais déploient en réalité des stratégies assumées d’endoctrinement et diffusent, par ce truchement, de manière subreptice ou de manière très revendiquée, un message religieux radical. Ces organisations passent par la loi 1901 pour financer des activités cultuelles via des fondations ou États étrangers, sans beaucoup de transparence. Les lieux de culte sont donc invités à sortir de la forme associative de « droit commun » pour basculer vers le régime prévu par la loi 1905.
Rendre plus attractif le régime de la loi 1905
Concernant l’exercice du culte, il s’agit donc d’inciter les associations cultuelles – c’est-à-dire celles qui ont pour objet exclusif l’exercice d’un culte[25] – à s’inscrire désormais dans le cadre de la loi 1905 pour en revenir à l’esprit initial de ce dispositif visant à organiser la séparation des Églises et de l’État. En principe, ces associations ne pourront donc plus percevoir de subventions publiques sous quelque forme que ce soit[26]. Par ailleurs, si ce passage de la loi 1901 au dispositif de la loi 1905 oblige les dirigeants des associations cultuelles à certifier sincère la domiciliation ou la résidence des membres dans la circonscription religieuse déclarée par l’association[27] et pousse les organismes cultuels à davantage de transparence en matière comptable[28] et financière[29], il devrait toutefois s’accompagner de mesures plus avantageuses fiscalement, telles que notamment l’accès à des réductions fiscales pour les libéralités consenties par les fidèles, à l’instar du régime de mécénat bénéficiant au denier du culte[30]. À l’inverse, les lieux de culte qui choisiront de rester sous le régime de la loi 1901 auront les mêmes obligations comptables et financières que ceux sous statut loi 1905, sans les avantages fiscaux précités. En outre, ils se verront appliquer un contrôle renforcé drastiquement en termes d’origine de financement et de transparence sur les fonds perçus.
Quid du boni de liquidation pour les associations dissoutes ?
Aussi complet soit-il, le projet de loi visant à conforter les principes républicains n’édicte pour le moment aucune disposition spécifique sur le devenir du boni de liquidation des associations loi 1901 ou 1905 qui seraient concernées par des décisions définitives prises en matière de dissolution administrative ou judiciaire. Dans son allocution du 2 octobre dernier, le président Macron faisait état, depuis fin 2017, de « 212 débits de boissons, 15 lieux de culte, 4 écoles et 13 établissements associatifs et culturels [qui] ont été fermés ; des centaines de contrôles réalisés, des millions d’euros saisis [dans les quartiers] ». À l’instar du dispositif des biens mal acquis[31], il conviendrait que le projet de loi actuel intègre des dispositions sur le devenir des biens de ces structures ayant fait l’objet de dissolution judiciaire ou administrative. En l’occurrence, les biens saisis pourraient faire l’objet d’une confiscation avec affectation immédiate aux institu- tions sans but lucratif œuvrant pour la laïcité[32].
Colas AMBLARD, docteur en droit, avocat
En savoir plus :
jurisassociations 630 – 15 décembre 2020
Références :