Apport : une opération trop méconnue par les porteurs de projet associatif

En qualité de groupement de personnes, l’association se distingue des fondations[1] et fonds de dotation[2] dont la caractéristique principale repose sur l’idée d’un patrimoine affecté à la réalisation d’une œuvre ou d’une mission d’intérêt général à but non lucratif[3]. Or, cette absence de moyens – en dehors des apports en industrie réalisés par les membres fondateurs au travers de la mise en commun, « d’une façon permanente, [de] leurs connaissances ou leur activité »[4] – s’avère souvent être un frein au développement rapide de projets associatifs. Dès lors, comment y remédier de façon efficace ? C’est précisément au stade du démarrage de ces projets que l’opération d’apport présente un intérêt indéniable.

 

1. AVANTAGES

Un cadre juridique sécurisé

S’il a été vu précédemment que l’apport en industrie découlait naturellement de la lecture de la loi du 1er juillet 1901 en son article 1er, l’apport de biens ou de droits n’est envisagé qu’à titre incident par l’article 15 du décret du 16 août 1901 au moment de la dissolution de l’association. Par suite, deux autres textes généraux ont juridiquement validé ce type d’opération : le code général des impôts (CGI)[5] qui aligne la fiscalité des apports avec celle des apports réalisés au bénéfice des sociétés commerciales, ainsi que la loi du 10 septembre 1947[6] portant statut de la coopération à propos des conditions de transformation des associations en coopératives. La licéité de l’opération d’apport permettant le transfert de la propriété ou de la jouissance de biens au bénéfice de groupements associatifs a par ailleurs reçu confirmation par les tribunaux de l’ordre judiciaire à de très nombreuses reprises. L’opération d’apport peut donc constituer un recours parfaitement légal pour toutes associations cherchant les moyens de développer leur projet.

Tout le monde ou presque peut faire un apport

C’est l’autre avantage de la formule puisque toute personne, physique ou morale, peut effectuer un apport au bénéfice d’une association. La capacité requise est celle de droit commun. Concernant des particuliers, il pourra s’agir de personnes mineures[7] ou majeures[8], y compris sous sauvegarde en justice[9], en curatelle[10] ou tutelle[11] ou bénéficiant d’une habilitation familiale[12]. Chaque époux peut librement effectuer un apport dès lors que celui-ci n’est pas contraire au régime matrimonial dont il relève. Dans le cas contraire, le juge aux affaires familiales pourra priver l’un des époux de ce droit dès lors que ce dernier manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille[13].

Enfin, si l’apport en industrie est souvent intimement lié à la qualité de membre, à l’inverse, l’apport de biens peut parfaitement être réalisé par un tiers même si, dans la pratique, il est fréquent que l’apporteur soit souvent un membre adhérent ou le devienne par suite. Il pourra également s’agir d’une société commerciale, voire d’une personne publique. Dans ce dernier cas, le bien ne pourra être apporté à une association sans une contrepartie appropriée, en fonction de sa valeur réelle, et devra en outre être affecté à la mission de service public qui lui sera confiée[14].
En définitive, nombre d’acteurs privés et publics auront la capacité d’être apporteurs d’une association pour les besoins du lancement de son projet.

L’apport peut concerner tout type de bien

L’apport peut porter sur des sommes en numéraire, des meubles corporels ou incorporels (parts sociales ou actions[15], droits, etc.). Il peut également porter sur des immeubles ; toutefois, si l’association n’est pas reconnue d’utilité publique, ces derniers doivent être destinés à l’administration de l’association et à la réunion de ses membres ou être strictement nécessaires à l’accomplissement de son but[16].

L’apport peut revêtir un aspect stratégique

L’apport peut être effectué en pleine propriété, mais l’apporteur peut également souhaiter en conserver la nue-propriété et n’en apporter que l’usufruit – l’usage et les fruits –, voire seulement l’usage[17]. Ces trois types d’apport doivent être clairement distingués, notamment au regard des aspects stratégiques susceptibles d’en résulter :

  • „„dans le premier cas, l’association devenant propriétaire du bien, celui-ci pourra être saisi par ses créanciers ;
  • „„dans le deuxième cas, la durée de l’apport restera libre sans toutefois pouvoir dépasser 30 ans[18] ;
  • dans le troisième cas, l’association disposant certes d’un droit personnel sur le bien – celui de jouir librement du bien pendant le délai prévu – mais sans avoir de droit réel sur le bien apporté, ses créanciers ne pourront pas saisir ce bien.

Enfin, dans le même ordre d’idées, il est important de relever qu’une collectivité publique ne peut pas exercer son droit de préemption à l’occasion d’une opération d’apport d’un immeuble, ce droit étant a priori réservé par le code de l’urbanisme aux actes faisant l’objet d’une contrepartie financière ou en nature[19]. Toutefois, sur ce point, la prudence doit rester de mise dans la mesure où cette question ne semble pas définitivement tranchée[20].

La fiscalité de l’apport est préférentielle

Les apports purs et simples en numéraire ou de biens autres que des immeubles ne sont pas imposables, sauf lorsqu’ils sont volontairement présentés à l’enregistrement, auquel cas l’opération d’apport est soumise à un droit fixe de 125 euros[21]. En principe, celle portant sur des immeubles fait l’objet d’un enregistrement à titre gratuit dès lors qu’elle est réalisée au moment de la constitution ou en cours de vie de l’association[22].

Assimilés à de véritables apports à titre onéreux, les apports avec charges et conditions (versement d’espèces, obligations, prise en charge d’un passif incombant à l’apporteur, etc.) sont normalement soumis aux droits de mutation selon la nature des biens apportés. Tel est le cas, par exemple, lorsque l’association rémunère l’apporteur par une prestation appréciable en argent dans le cadre d’une opération d’apport d’un immeuble ou de droits immobiliers (taxation spécifique de 5 %)[23].

À ce stade, il apparaît important de signaler qu’un apport se distingue d’un don pur et simple et ne donnera pas lieu aux avantages fiscaux attachés au régime du mécénat.

 

2. MODALITÉS

Le formalisme peut être réduit

En dehors du cas où l’apport porte sur un immeuble – ce qui nécessitera la rédaction d’un acte notarié, une publicité au service de la publicité foncière[24] ainsi qu’une déclaration de l’opération en préfecture dans le délai de trois mois –, le formalisme attaché à ce type d’opération pourra être réduit. Toutefois, si cette opération a lieu lors de la constitution ou en cours de vie de l’association, il est préférable que les statuts mentionnent l’existence de l’apport afin de sécuriser le régime fiscal préférentiel auquel elle peut prétendre. De la même manière, si l’apport en numéraire ou d’un bien meuble ne requiert aucune condition de forme particulière, il est néanmoins conseillé de prévoir un écrit (traité d’apport) mentionnant expressément les éléments caractéristiques de cette opération particulière en prenant soin d’éviter toute clause contractuelle qui serait contradictoire avec les statuts.

La nécessité (absolue) d’une contrepartie

Parmi les éléments caractéristiques de l’opération d’apport figure prioritairement l’existence d’une contrepartie au profit de l’apporteur. Les tribunaux considèrent en effet qu’une personne fait un apport lorsqu’elle transfère à une association la propriété ou la jouissance d’un bien sans intention libérale, ce qui exclut toute action désintéressée de la part de l’apporteur. Attention toutefois, cette contrepartie doit avoir une certaine consistance. En effet, pour la chambre commerciale de la Cour de cassation[25], la simple satisfaction morale de voir l’association poursuivre sa mission ne suffit pas pour exclure l’intention libérale de l’apporteur : il faut que l’association s’engage à respecter des obligations spécifiques et concrètes, par exemple en affectant le bien transmis à une utilisation spécifique et que l’apporteur en tire un droit substantiel (pouvoir décisionnel au sein de l’association ou droit de veto[26]) ne se limitant pas à une simple gratification, comme l’octroi de la qualité de membre bienfaiteur. L’existence d’une contrepartie suffisamment caractérisée et en rapport avec l’importance des biens apportés apparaît donc une nécessité absolue. À défaut, les parties à l’opération d’apport s’exposent à un risque de requalification en libéralité (don)[27] susceptible d’entraîner une taxation fiscale très lourde pouvant aller jusqu’à 60 % de sa valeur[28]. Outre la condition expresse d’affectation, l’acte d’apport peut également être assorti d’un certain nombre de charges – comme l’édification d’une église en contrepartie de l’apport d’un terrain[29] ou encore le versement de subsides à certaines personnes[30] – qui, à la différence des libéralités[31], ne peuvent faire l’objet d’une révision de la part des tribunaux, même en cas de changement de circonstances rendant leur exécution extrêmement difficile ou sérieusement dommageable pour l’association.

En définitive, s’il a été vu précédemment que le formalisme pouvait être réduit, l’intention de l’apporteur – dont dépend la qualification de l’acte – devra être exprimée de façon suffisamment claire par les parties ; à défaut, ce sera aux juges du fond d’apprécier souverainement[32].

La reprise des apports

L’autre spécificité de l’opération d’apport réside dans la faculté laissée à l’appréciation des parties de prévoir un droit de reprise. Toutefois, contrairement à ce qui prévaut en droit des sociétés, la reprise par l’apporteur ou ses ayants droit est de droit[33] si elle a été expressément prévue soit dans les statuts de l’association – clause dite « de retour »[34] –, soit dans un écrit univoque – traité d’apport ou autre. À défaut, la reprise sera soumise à la décision de l’assemblée générale, au plus tard au moment de la dissolution de l’association. L’existence d’un droit de reprise ne frappe pas le bien d’inaliénabilité et n’affecte pas l’opération d’apport d’une clause résolutoire, sauf stipulation particulière. Par conséquent, l’apport tombe en pleine propriété dans le patrimoine de l’association, peu importe qu’il soit assorti d’un droit de reprise. Dans ces conditions, cette dernière peut donner en garantie le bien apporté et cette sûreté sera opposable à l’apporteur au moment de la dissolution de l’association[35]. La reprise d’un bien autre que numéraire suppose donc que celui-ci existe toujours dans le patrimoine de l’association au moment de la demande de reprise. En cas d’apport en numéraire, l’apporteur sera autorisé à prélever une somme d’argent d’un montant strictement identique – nominal –, c’est-à-dire sans pouvoir être actualisé en fonction d’un coefficient d’érosion monétaire[36].

En conclusion, si l’apport peut s’avérer complexe à réaliser, il présente de réels atouts pour les associations, en particulier au moment du lancement du projet associatif. Outre les avantages précédemment décrits, ce type d’opération permet surtout de pallier l’incapacité des associations simplement déclarées à bénéficier de libéralités – dons autres que manuels et legs – et n’est soumis à aucun contrôle de la part des autorités de tutelle. „

Colas AMBLARD, Docteur en droit, Avocat associé

En savoir plus :

Références
1 L. n° 87-571 du 23 juill. 1987, JO du 24, art. 18.
2 L. n° 2008-776 du 4 août 2008, JO du 5, art. 140, I ; v. C. Amblard, Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, 2e éd., Wolters Kluwer, coll. « Lamy Axe Droit », 2015.
3 CGI, art. 200 et 238 bis.
4 L. du 1er juill. 1901, art. 1er
5 CGI, art. 809, I, 2o.
6 L. n° 47-1775 du 10 sept. 1947, JO du 11, art. 28 bis, al. 4.
7 C. civ., art. 414-1 et 1129.
8 C. civ., art. 388-1-2 et 387.
9 C. civ., art. 435, al. 2.
10 C. civ., art. 467
11 C. civ., art. 465, 502 et 505, al. 1er ; décr. n° 2008-1484 du 22 déc. 2008, JO du 31, art. 4, al. 1er.
12 C. civ., art. 494-8, al. 1er et 494-9.
13 C. civ., art. 220-1.
14 Cons. const. 17 déc. 2010, n° 2010-67/86 QPC.
15 JA 2021, n° 645, p. 36, étude C. Amblard.
16 L. du 1er juill. 1901, art. 6, al. 3 et s.
17 Paris, 5 sept. 2013, n° 11/22362.
18 C. civ., art. 619 : Civ. 3e, 7 mars 2007, n° 06-12.568, Bull. civ. III, n° 36.
19 Rép. min. à C. Gautier, JO Sénat CR du 1er sept. 2005, no 18403 ; v. égal.  D. Dutrieux, « L’apport à une association et la fusion d’associations ne sont pas soumis au droit de préemption urbain », JCP N 2005, n° 1456 ; C. urb., art. L. 213-1-1.
20 JA 2014, no 503, p. 36, étudeA. Laroche.
21 CGI, art. 680.
22 CGI, art. 810, I et IV ; par excep- tion, v. égal. CGI, art. 809, I, 3o, art. 810, III ; BOFiP-Impôts, BOI-ENR- AVS-10-10-20 du 6 avr. 2016, § 400.
23 CGI, art. 683 bis, 1595 et 1584 ou 1595 bis.
24 Décr. n° 55-22 du 4 janv. 1955, JO du 7, art. 4, al. 1er et art. 28, 1o, a).
25 Com. 7 juill. 2009, n° 07-21.957, BAF 5/09, inf. 204.
26 Paris, 2 mars 2017, n° 15/15293, à propos d’un apport partiel d’actif.
27 Civ. 1re, 24 févr. 1976, n° 74-10.990, Bull. civ. I, no 80.
28 CGI, art. 777.
29 Lyon, 8 juin 1971, D. 1971. 555, note M. Chavrier, maintenu par Civ. 1re, 18 oct. 1972, n° 71-13.007,RDSS 1973. 100, obs. A. Lavagne.
30 Civ. 1re, 17 oct. 1978, n° 77-12.838,Rev. Soc. 1979, 565, note R. Plaisant, RTD com. 1979 ; Civ. 1re, 4 nov. 1982, inédit, Rev. Soc. 1983, 826, note G. Sousi.
31 C. civ., art. 900-2.
32 Civ. 1re, 24 févr. 1974, n° 74-10.990, préc.
33 Civ. 1re, 4 nov. 1982, inédit, préc.
34 Civ. 1re, 1er mars 1988, n° 86-13.158, Bull. civ. I, n° 52.
35 Civ. 1re, 27 juin 2000, n° 98-17.733, RJDA 11/00, n° 1002.
36 Com. 5 juill. 2005, n° 02-10.233, Bull. civ. IV, n° 149 ; v. égal. C. com., art. L. 653-4 à propos de la sanction de faillite en cas de cessation de paiement.