Peuvent être condamnés à supporter sur leurs biens personnels tout ou partie de l’insuffisance d’actif du groupement, les dirigeants d’une association en liquidation judiciaire s’il ont commis une ou plusieurs fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance. A travers deux décisions successives, la jurisprudence récente vient illustrer l’application de cette règle et ainsi utilement rappeler combien il est important pour les dirigeants associatifs, de droit comme de fait, de rester vigilant dans l’exercice de leurs fonctions bénévoles.
- Action en comblement de passif : le bénévolat n’est pas une cause exonératoire de responsabilité financière
L’article 1992, alinéa 2, du Code civil, prévoit que la responsabilité générale du dirigeant est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit. C’est précisément cette disposition légale qui a été invoquée par un dirigeant associatif condamné en appel à combler le passif (500 000 €) d’une association en liquidation judiciaire.
En l’espèce, le mandataire bénévole soutenait que sa responsabilité devait être atténuée en application de cette disposition légale. Argument rejeté par la Cour de cassation dans sa décision du 09 décembre 2020[1] : l’article 1992 du Code civil ne peut pas être invoquée en ce qu’elle ne concerne pas la situation du dirigeant poursuivi en paiement de l’insuffisance d’actif d’une association dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire. Dans une telle situation, la responsabilité du dirigeant s’apprécie sur le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce, ce texte spécial s’appliquant, de la même manière, peu importe que ce dernier soit rémunéré ou non.
- Action en comblement de passif : les salariés concernés s’ils sont considérés comme dirigeants de fait !
Lors d’une assemblée générale, la présidence en exercice d’une association a fait part de son souhait d’être remplacée et a délégué au profit de sa belle-fille, directrice salariée de l’association, tous pouvoirs et délégation de signatures sur tous les comptes bancaires de l’association d’une part, et tous pouvoir et délégation de signatures, d’autre part.
Ces délégations de pouvoir étaient cependant consenties « sans limite de temps » et ne figuraient pas à l’ordre du jour de ladite assemblée au cours de laquelle la présidente n’avait pas été remplacée et alors même la vice-présidente en exercice était à cette époque âgée de plus de 80 ans.
Durant plusieurs années et jusqu’à la désignation d’un nouveau président, la directrice a établi les rapports d’activité de l’association, signé un projet de fusion avec une autre association, signé les demandes de subventions, embauché ses trois enfants, utilisé un véhicule de l’association alors que ce n’était pas prévu dans son contrat de travail, utilisé la carte bancaire sans aucun encadrement, augmenté son salaire et ses primes et converti ses heures supplémentaires en rémunération, le tout sans validation préalable ou postérieure du conseil d’administration.
Dans de telles conditions, cette dernière pouvait difficilement prétendre avoir exercé sa fonction de directrice sous le contrôle et la subordination du conseil d’administration, qui n’a jamais été consulté au cours de cette période et auquel elle n’a rendu aucun compte. En outre, aucune assemblée générale n’avait eu lieu durant deux ans, ce qui fait que la directrice salariés ne pouvait pas non plus prétendre que la mention « pour ordre » sur les actes qu’elle signait la plaçait dans un lien de subordination à l’égard de la présidente qui lui avait délégué ses pouvoirs, dès lors qu’il n’y a pas eu de président en exercice entre 2013 et 2015.
Dès lors, la directrice pouvait être considérée comme dirigeante de fait, une telle notion s’appréciant selon les mêmes critères qu’en matière de société[2] : « Les dirigeants de fait s’entendent des personnes qui remplissent des fonctions normalement dévolues aux dirigeants de droit, qui exercent un contrôle effectif et constant de l’association et qui en définissent les orientations. »
En l’espèce, il a bien été rapporté que la directrice avait bien accompli des actes de direction et de gestion positifs, en toute indépendance, de l’association ; elle doit donc être reconnue comme dirigeante de fait à compter du 22 mai 2013.
A l’initiative du nouveau président, élu en novembre 2017, une demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de l’association avait été formulée auprès du Tribunal de grande instance, laquelle avait été ultérieurement convertie en liquidation judiciaire.
Dans cette affaire, le liquidateur fait valoir que la dirigeante de fait, investie de tous les pouvoirs et se comportant comme l’unique décisionnaire, devait être tenue pour responsable du fait que l’association n’a pas fonctionné conformément à ses statuts, entre 2013 et 2017, en l’absence de réunion, trois fois par an, du conseil d’administration, d’assemblée générale tous les ans, de présentation par le trésorier de son rapport financier annuel, et de désignation d’un commissaire aux comptes alors que les seuils étaient dépassés pour l’exercice 2016.
En outre, la dirigeante, disposant des éléments comptables révélant la situation financière très dégradée de l’association, et notamment l’enregistrement de pertes d’exploitation exercice après exercice, avait néanmoins poursuivi l’activité de l’association sans en alerter les membres du conseil d’administration ou la vice-présidente ni procéder à une déclaration de cessation des paiements dans les conditions prévues à l’article L 631-4 du Code de commerce, c’est-à-dire dans le délai de 45 jours immédiatement après avoir constaté l’impossibilité de faire face à son passif exigible.
Selon la Cour d’appel de Paris[3], cette poursuite d’une activité déficitaire est directement à l’origine du préjudice subi par les créanciers dans la mesure où le passif né postérieurement au 23 juillet 2016, date de la cessation des paiements fixée par le tribunal, s’élève à près de 1 500 000 €. Or, du fait de l’absence de suivi juridique de l’association et de la poursuite de l’activité déficitaire, ayant contribué à aggraver le passif, la dirigeante de fait a été condamnée à supporter une partie de l’insuffisance d’actif, évaluée à 300 000 € au regard de sa situation personnelle, et à deux ans d’interdiction de gérer.
- Synthèse
Cette jurisprudence récente est l’occasion de rappeler que :
- Les juges disposent d’un large pouvoir d’appréciation et peuvent exonérer des dirigeants fautifs, en tout ou partie, de la charge de l’insuffisance d’actif, en fonction, d’une part, de la gravité et du nombre de fautes retenues contre eux et de l’état de leur patrimoine et, d’autre part, des facteurs économiques qui peuvent conduire à la défaillance des entreprises ainsi que des risques inhérents à leur exploitation[4].
- Il est fortement conseillé aux associations de souscrire une assurance de « responsabilité personnelle des dirigeants » censée protéger ces derniers contre les conséquences de l’engagement de leur responsabilité dans la gestion, notamment en ce qui concerne l’insuffisance d’actif.
- La notion de faute de gestion peut concerner les dirigeants associatifs, de droit comme de fait, et entraîner une mise en jeu de leur responsabilité financière personnelle.
Colas AMBLARD, Docteur en Droit, Avocat